Joute sur deux poèmes des îles Canaries à Dieulefit

Le 25 et 26 mars 2023, le village drômois de Dieulefit accueillait le festival Voyage d’une Langue à l’Autre, organisé par l’association des amis de Bernard Hoepffner. Ce jeune Dieulefitois de 70 ans, disparu en mer en mai 2016, avait traduit et retraduit avec passion de nombreux auteurs, de Robert Burton à Mark Twain, en passant par James Joyce, Oscar Wilde ou Gilbert Sorrentino. Il a également été président de l’association ATLAS.

par Samuel Sfez

Cette 4e édition du festival, dont le thème était la retraduction, a également rendu hommage au poète et traducteur Philippe Jaccottet. Parmi les invité.es, on comptait Danièle Robert, retraductrice de La Divine Comédie de Dante, Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, fondateurs des éditions Tristram qui ont publié les retraductions de Huckleberry Finn et Tom Sawyer par Bernard Hoepffner ainsi que son roman Portrait du traducteur en escroc.
Le festival s’est ouvert sur la restitution de l’atelier scolaire mené au collège de Dieulefit par Samuel Sfez, au cours duquel les élèves de 4 e ont traduit plusieurs extraits du Fantôme des Canterville d’Oscar Wilde. Vint ensuite la joute d’espagnol, organisée et financée par l’ATLF.

Joute d’espagnol: un voyage poétique dans les îles Canaries

La modératrice, Margot Nguyen Béraud, nous a emmené aux îles Canaries avec une sélection de deux poèmes – «Isla y mujer» de Pedro García Cabrera et «A él» de María Padrón. La seconde a la particularité d’être originaire de la petite île d’El Hierro où, dans l’une de ses nombreuses vies, Bernard Hoepffner a été agriculteur. Maïra Muchnik et Delphine Valentin, les jouteuses, avaient chacune traduit sans se concerter les deux poèmes reçus auparavant sous pli discret.

Elles ont débattu de leurs choix souvent différents devant un public averti d’une centaine de personnes rassemblées à la Halle – la salle des fêtes de Dieulefit. La discussion a porté sur les options de métrique, de rimes et d’interprétation lexicale. Il a notamment été question d’un genou dans l’eau (mais à qui appartenait-il donc ?), d’une montagne en forme de sein et de la langue sifflée des bergers canariens.

Cette joute a permis de présenter le métier de traductrice dans son intimité avec le texte, mais aussi de le replacer dans le contexte plus large de nos conditions de travail : l’ouverture de la joute a été l’occasion de rappeler que l’ATLF continue de se battre pour défendre nos droits et notre rémunération, de présenter la tribune conjointe sur la traduction automatique rédigée avec ATLAS, et de démontrer par la pratique que seuls des humains peuvent traduire, réfléchir et argumenter leurs choix, voire les réviser si nécessaire.