Le décor : la ville foisonnante de Bangalore. L’action : des meurtres, commis avec une rare violence et selon un schéma rituel qui laisse supposer la présence d’un tueur en série. Les protagonistes : l’inspecteur Borei Gowda, autrefois brillant enquêteur, désormais cynique et désabusé, et son jeune adjoint, à qui il en fait voir de toutes les couleurs.
Ajoutons à cela un politicien véreux, une inconnue fascinante qui a une fâcheuse tendance à se trouver sur les lieux des crimes, un fils en manque d’affection, une dame qui ne demande qu’à renouer avec son amour de jeunesse… Voilà quelques-uns des ingrédients de ce polar à la mode indienne, qui nous ouvre un monde inédit de couleurs, de parfums et de saveurs. Car l’Inde y est extraordinairement présente, servie à merveille par la traduction, qui restitue avec bonheur tout un univers de sensations, passant avec virtuosité de l’art du maquillage aux scènes de marché, des dialogues parfois aigres entre policiers aux monologues intérieurs d’une femme mystérieuse. On lit ce roman avec beaucoup de plaisir, à la fois pour l’intrigue, pour les aperçus qu’il livre sur l’Inde d’aujourd’hui, et pour cette plongée dans un univers d’une formidable richesse poétique.
Anita Nair
L’Inconnue de Bangalore
Traduit de l’anglais (Inde) par Dominique Vitalyos
Albin Michel, 2013
Nous restons en Inde, avec Anita Desai, cette fois, pour un voyage dans les contrées intérieures de l’effacement de soi. L’art de l’effacement, tel est le titre donné à ce recueil de trois nouvelles, qui, toutes, parlent de disparition et d’oubli. Dans la première, le narrateur se remémore un épisode de sa jeunesse au cours duquel il a eu l’occasion de visiter un improbable musée dans une demeure à l’abandon ; dans la seconde, c’est une traductrice qui se laisse prendre à la tentation de réécrire le roman qu’elle doit traduire, au risque de se perdre ; et la dernière nouvelle voit un homme retourner vivre dans la maison de ses parents adoptifs, au coeur de la montagne, et s’isoler dans sa contemplation de la nature.
Dans ces trois textes courts, Anita Desai dépeint un univers singulier, marqué par une fracture entre les forces de vie et celles de la disparition, entre le désir d’exister et la douleur de ne pouvoir accéder à l’existence. Ses personnages, aussi différents soient-ils les uns des autres, font tous la même expérience, celle de la déception dans un monde qui ne leur donne pas la possibilité de déployer leurs talents et leur envie de vivre. Leurs tentatives de changer les règles du jeu paraissent vouées à l’échec et ils se retrouvent contraints de vivre en deçà d’eux-mêmes, en conformité avec des règles sociales dont ils mesurent l’inanité ou dans l’isolement et le retrait du monde. Ce recueil inspire un certain sentiment de mélancolie. Son style à la fois incisif et empreint d’une forme de douceur poétique est fort bien rendu par la traduction, qui célèbre l’art de se faire oublier sans céder aux tentations de la disparition.
Anita Desai
L’art de l’effacement
Traduit de l’anglais (Inde) par Jean-Pierre Aoustin
Mercure de France, 2013
Corinna Gepner
Octobre 2013