Quais du polar

Chaque année, dans le cadre de ses activités pédagogiques, le festival Quais du Polar propose aux lycéens et lycéennes de se mettre dans la peau de traducteurs et traductrices littéraires.

Pour la 21ème édition de ce grand rendez-vous du roman noir et policier, Nathalie Huet et Joëlle Touati ont animé ces ateliers. Nathalie est intervenue le 26 mars en classe de terminale LLCE à la Cité Scolaire Internationale de Lyon  ; Joëlle a travaillé le mardi 11 mars avec une classe de terminale LLCE du lycée Saint-Thomas-d’Aquin, à Oullins, et le vendredi 21 mars au lycée Charlie Chaplin de Décines, avec deux classes de terminale spécialité « anglais monde contemporain ». Les élèves ont travaillé sur des extraits du prologue de Guide Me Home, de l’autrice américaine Attica Locke. Encore inédit en France au moment des ateliers, le roman est paru peu après — pour le festival ! — sous le titre Il est long le chemin du retour.

Nathalie et Joëlle nous livrent leurs impressions.

Nathalie :

« J’ai toujours plaisir à sortir de ma tanière d’ermite lexicophile pour rencontrer de jeunes esprits ! Faire découvrir les contraintes et les subtilités de notre métier, répondre aux questions, échanger des idées, travailler sur un texte et pousser les étudiants dans leur raisonnement pour obtenir un meilleur résultat. Lors de ma session avec « mes » élèves de terminale, la classe m’a très bien accueillie. Je les ai sentis engagés et intéressés, et comme nous avions abondamment communiqué et collaboré en amont avec la professeure, notre unique séance nous a permis d’avancer pour obtenir un très bon texte. Je conserve également un bon souvenir de la restitution en public. D’après les quelques retours que j’ai pu avoir, notre autrice et son éditrice, les élèves et leurs professeures étaient toutes et tous très contents de ce moment, ce qui était vraiment le but : mettre l’autrice en lumière, valoriser le travail des lycéens, promouvoir l’échange, l’expression et la découverte. Carton plein ! »

Joëlle :

« Gros travail en amont également dans « mes »  classes. Motivées par le projet, les enseignantes ont su communiquer leur enthousiasme à leurs élèves, qui se sont prêtés à l’exercice avec un réel souci de bien faire. Parler en public n’est pas toujours facile pour les solitaires que nous sommes… mais mes appréhensions se sont vite dissipées face à l’attention, l’intérêt, voire l’admiration des lycéens et lycéennes pour notre métier. Une bouffée d’air que de partager, pour une fois, les milliers de questions que l’on se pose à chaque instant devant chaque phrase de chaque texte. Construire un texte à plusieurs, écouter les élèves, comprendre leur cheminement, les faire douter, se remettre aussi soi-même en question… J’ai adoré l’expérience ! Et les retours gratifiants tant des lycéens-lycéennes que des profs me font encore chaud au cœur, quand j’y repense en écrivant ces mots. »

Lors de la rencontre avec l’autrice, le 4 avril à la CinéFabrique, chaque classe a présenté sa traduction et défendu ses choix — des trouvailles parfois tout à fait pertinentes. Attica Locke a ensuite répondu aux nombreuses questions des lycéens, avant de filer au festival, des étoiles plein les yeux, d’après Sara Guillaume, notre très aimable et très efficace chargée de médiation.

Joute, par Maïa Rosenberger

Cette année encore, l’ATLF était doublement présente au festival lyonnais Quais du Polar, avec une joute proposée depuis le suédois. Anna Postel et Catherine Renaud se sont prêtées au jeu et ont chacune proposé leur traduction de l’incipit de Skinn [La peau] de l’autrice Sara Strömberg (le roman est en cours de traduction en français par Anne Karila) ; la modération était assurée par Jean-Baptiste Bardin. Sous les dorures du Palais de la Bourse, devant une salle comble et aussi attentive que réactive, Anna et Catherine, sollicitées par Jean-Baptiste, ont exposé les raisons de leurs choix, en pointant notamment l’influence des textes sur lesquels elles travaillaient au moment de l’exercice et la difficulté inhérente à toute traduction d’extrait, particulièrement délicate.

Les premières pages de ce roman policier dans lequel un douanier en poste près de la frontière norvégienne croit reconnaître lors d’un contrôle l’homme soupçonné du meurtre de sa fille ont ainsi été déclinées d’une part sur un ton très littéraire et empreint d’éléments naturels, omniprésents dans la langue suédoise, et de manière beaucoup plus rocailleuse et immédiate d’autre part. Jean-Baptiste, qui a pu profiter de la présence de l’autrice pour étayer ses suppositions et remarques, a notamment pointé deux registres de choix qui ont donné matière à réflexion collective : les éléments naturels et les dialogues.

Après quelques explications et discussions, le public a ainsi appris que le suédois fourmille de termes d’usage courant empruntés aux phénomènes naturels. Ces métaphores ont parfois – mais pas toujours, et c’est entre autres là l’intérêt de cette particularité – une connotation poétique et peuvent donc ainsi colorer toute une phrase, voire un paragraphe. Tout ce qui relève de l’eau, de sa circulation, entre bouillonnement et écoulement, est par exemple fondamental, et le lexique pertinent regorge de termes très précis évidemment délicats à rendre en français. Ces verbes peuvent qui plus est être employés dans un contexte susceptible d’étonner un lecteur français. Le verbe sippra, en l’occurrence, était employé pour indiquer la façon dont le protagoniste entend au rez de chaussée du poste de police une conversation qui se tient à l’étage. Catherine a préféré faire porter la fluidité sur le sens et a choisi une expression idiomatique française (« surprendre la conversation »), quand Anna a choisi de garder la connotation aquatique et a gardé l’image (« une conversation qui ruisselle »). Les dialogues sont une particularité plus transversale de la traduction, mais la discussion sur le registre de langue est toujours très concrète pour le public,
qui touche là aussi du doigt les enjeux, subtilités, influences et difficultés du métier.

Les nombreuses questions finales, comme toujours limitées par le temps, ont parfois permis d’écouter la musique de la langue suédoise avec les interventions de Sara Strömberg traduites en direct par Anna. Mais ces moments ont surtout été l’occasion de faire émerger d’autres interrogations et questionnements sur la genèse d’une création littéraire, la réalité de la traduction et la relation entre un auteur et ses traductrice ou traducteur. Les éléments de réponse apportés et partagés avec la salle ont comme d’habitude attiré l’attention sur notre place, en illustrant la réalité de notre métier. Que le festival Quais du Polar, avec qui le partenariat est toujours fécond, en soit remercié !