Hantises

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Marie 1 et Marie 2. Ou encore Marie Étoile et Marie Miroir. Marie est double, c’est un secret bien gardé, le gage que les contraintes sociales n’ont pas étouffé l’exubérance et la vitalité. Marie a épousé Max Meier, qui, après la guerre, s’est reconverti dans la politique et espère bien un jour entrer au gouvernement. Pour cela, elle a dû renoncer à la brillante carrière musicale qui l’attendait, à l’effervescence intellectuelle et artistique qui lui avait permis de s’extraire de la gangue des obligations familiales. Comment en vient-on à se transformer en femme conventionnelle, paralysée par la peur de vieillir, quand on a été une jeune fille volontaire, talentueuse, indépendante ? C’est ce que dépeint, avec une âpre poésie, le romancier suisse allemand Thomas Hürlimann dans son roman Quarante roses.
quarante_rosesAvec une sensibilité exacerbée, il retrace le parcours d’une famille de tailleurs juifs originaire de Galicie qui fait souche en Suisse et y acquiert richesse et notoriété. Les Minet ont su développer l’art de la soie au service de la bonne société suisse, mais sans jamais abandonner ce qui les rattache au monde d’où ils viennent. Marie est l’héritière de cette histoire et sans doute y puise-t-elle la force de ne pas se laisser totalement dévorer par son existence. Le pacte implicite – et inconscient – qu’elle a noué avec son époux est, en effet, des plus explosifs. N’est-ce pas la grande chance de Max, qui a écrit dans un journal fasciste durant la guerre – il faut bien vivre –, que d’épouser une Juive et de se refaire par là même  une virginité bienvenue ? Rien n’est dit, bien sûr, mais le lien qui unit ces deux personnages, dont on n’arrive jamais vraiment à savoir s’ils s’aiment sincèrement, est autant de nécessité que de convenance mutuelle.
Ce roman laisse à merveille deviner les profondeurs troublantes du spectacle qui se déroule sur la scène. Il le fait au travers d’une narration incroyablement souple, souvent heurtée, qui épouse les mouvements intérieurs et rend sensible quelque chose qu’on pourrait appeler la poétique des âmes. Il saisit la musique des êtres, la mélodie qui les habite, fût-elle discordante, et se meut dans un domaine où les frontières entre le « réel » et la fantasmagorie tendent par moments à s’effacer. La traduction a su restituer l’âpreté du style, le caractère parfois bousculé du récit. Et plus généralement la nature foisonnante de ce roman, qui brasse tout un matériau humain pour le rouler dans les flots de l’histoire.

Thomas Hürlimann
Quarante roses
Traduit de l’allemand (Suisse) par Fedora Wesseler
Éditions Verdier, 2016

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Revenons aux fondamentaux avec Les Nuits de Reykjavik ou la première enquête d’Erlendur, principal protagoniste des romans policiers de l’Islandais Arnaldur Indridason. Erlendur n’est encore qu’un tout jeune policier affecté aux rondes de nuit, mais il se distingue déjà de ses collègues par une empathie singulière pour ceux que la misère affective ou matérielle a rejetés aux marges de la société : clochards, prostituées, victimes d’abus en tout genre. C’est sa compassion pour le clochard Hannibal qui Nuits-de-Reykjavik-Les-HD-300x460l’incite à explorer plus avant les circonstances apparemment banales de la mort de ce dernier. Dans le même temps, d’autres dossiers viennent le hanter, des dossiers de disparitions inexpliquées, qui semblent toucher en lui un point sensible. On n’en saura pas beaucoup plus, mais cette obsession de la disparition, cette conscience aiguë du vide sidéral ouvert par l’évanouissement corps et biens d’un individu l’habite comme une blessure inguérissable et donne au roman une mélancolie poignante. Peut-être est-ce là ce qui rend ce personnage à la fois plus réceptif que ses congénères, mais aussi plus absent de sa propre existence. Un peu comme si, à force de vivre la disparition des autres, il finissait par s’éloigner de lui-même. Ce premier opus est ainsi l’amorce d’une histoire qui se poursuit dans les autres tomes de la série, mais dont on pressent qu’elle peinera à trouver une fin.
Les Nuits de Reykjavik, c’est aussi la peinture d’une ville où règne une violence diffuse et constante. Le roman donne l’impression d’un univers miné par l’alcool, la drogue, la solitude. La violence est omniprésente, entre parias de la société, mais aussi au sein de foyers en apparence unis. On frappe, on cogne, comme s’il fallait chercher un exutoire à un mal-être indéfinissable. Les moments de solidarité et d’humanité sont d’autant plus précieux et font figure de petits cailloux luisant dans une nuit trop faiblement éclairée. Mais ils sont là.
Très belle traduction d’Éric Boury, qui nous a fait découvrir Indridason.

Arnaldur Indridason
Les Nuits de Reykjavik
Traduit de l’islandais par Éric Boury
Métailié, 2015 ; Points policier 2016

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