Danica Dakic, ZID/WALL, Düsseldorf, 1998
Samedi pluvieux à Marseille.
C’est l’occasion rêvée d’aller faire un tour au MuCEM et d’en profiter pour visiter – ô merveille ! – une exposition consacrée à la traduction : « Après Babel, traduire ».
L’exposition s’intéresse à la traduction comme acte fondateur de notre civilisation, la civilisation européenne, avec un centrage revendiqué, c’est la vocation du musée, sur la Méditerranée et son pourtour.
La première salle donne à voir des représentations de la fameuse tour de Babel, qui signalent la postérité du mythe où, selon le récit biblique, dieu aurait dispersé les hommes et les femmes pour les punir. Enfin, peut-être pas, c’est là l’interprétation habituellement présentée, mais l’exposition invite à la remettre en question et à voir le mythe de la pluralité des langues comme un mythe positif puisque c’est l’acte fondateur, nécessaire à la traduction.
De cette première salle, je retiens un dispositif scripto-sonore qui permet de lire une traduction de la Bible tout en entendant trois autres, dont celle de Chouraqui et de Meschonnic. Deux ou trois phrases suffisent à faire entendre aux visiteurs les différences entre ces versions.
Le parcours fait ensuite découvrir des documents multilingues fondateurs de l’histoire de l’humanité, de la Pierre de Rosette à un mur d’albums de Tintin dans une trentaine de langues, en passant par des vitrines présentant des manuscrits anciens, textes religieux et leurs commentaires en plusieurs langues. Tout cela conduit à réfléchir à la traduction de la parole divine, question d’une actualité brûlante.
Une cage de verre donne à voir l’isolement de l’interprète de conférence. Des casques permettent aux visiteurs de l’entendre parler de son métier. Une présentation vidéo montre la diversité de la langue des signes, dans un grand nombre de langues. Un mur présente côte à côte six ou sept cadres contenant un bref descriptif d’un morceau de bois, au-dessus de l’objet et d’un outil. Le descriptif est à chaque fois la traduction du précédent, et l’objet et l’outil se modifient de cadre en cadre, illustrant merveilleusement toute la problématique de la traduction pragmatique, quand il s’agit de faire réaliser quelque chose à un lecteur dont la compréhension produit un objet observable, ce qui permet de vérifier ce que comprennent différents lecteurs lisant un « même (?) » texte traduit dans différentes langues.
Tout au long de son parcours le visiteur peut lire des citations émanant de philosophes, d’auteurs et de penseurs s’exprimant sur la traduction. Puis l’on arrive à la dernière partie de l’exposition qui fait entrer en jeu la technologie. La première machine à traduire est bien rudimentaire, mais annonce déjà la traduction automatique. Pour terminer, les visiteurs passent dans une salle où, à travers le célèbre poème de Poe, Le Corbeau, ils découvrent les différences de traduction pouvant exister entre Google translator, Baudelaire, Mallarmé, et à nouveau Google translator. La comparaison des poètes et de la machine est sans doute un bon moyen de vulgariser la traduction auprès du grand public et de faire comprendre qu’il n’y a jamais une seule traduction.
Je salue donc le travail effectué par les créateurs de cette exposition, mais en ressors insatisfaite. Il me faut un peu de temps pour comprendre d’où me vient cette frustration. Tout ce qui est là est très bien. Le problème est ce qui n’est pas là. Certes, l’exposition s’intitule « Traduire », et non « Les traducteurs », mais si elle fait une belle place aux interprètes, pourquoi oublier les traducteurs de l’écrit ?
Après Baudelaire et Mallarmé, poètes-traducteurs, il manque une salle consacrée à la traduction littéraire et aux traducteurs qui ne sont « que » traducteurs. On aurait pu y présenter les collections spécialisées dans la publication d’œuvres traduites, même en s’en tenant aux langues et aux pays du pourtour méditerranéen, il y a déjà fort à faire. On aurait pu montrer les visages des traducteurs et traductrices qui permettent de lire des auteurs étrangers en français, ou des auteurs français en « étranger ». On aurait pu réaliser quelques entretiens entre auteurs et traducteurs, montrer les merveilleux documentaires existant sur le sujet comme La Femme aux cinq éléphants. On aurait pu évoquer le rôle des éditeurs, une installation vidéo aurait pu évoquer le théâtre et le surtitrage, ou montrer au public la différence entre des dialogues en VO et leur doublage, puis entre VO et sous-titres. On aurait pu faire quelque chose pour que les lecteurs s’aperçoivent enfin que lire une traduction, c’est lire un traducteur et, à travers lui, grâce à lui, un auteur étranger. Mais non, cette exposition sur la traduction évoque à peine ceux qui la font, les traductrices et traducteurs, et c’est bien dommage.
Dimanche pluvieux à Bordeaux,
5 février 2017
Une semaine plus tard
Sophie Léchauguette