[boxed_content type= »coloured » custom_bg_colour= »#E6E6E6″ custom_text_colour= »#000000″ pb_margin_bottom= »no » width= »2/3″ el_position= »first last »]
Dans son premier roman, l’Autrichienne d’origine slovène Maja Haderlap retrace son enfance et son parcours jusqu’à l’âge adulte. Tout commence par ce qu’on pourrait appeler une idylle au sein d’une nature florissante. La fillette grandit dans une localité de montagne, sous l’égide d’une grand-mère aimante. Scènes du quotidien, travaux de la ferme, le récit nous plonge dans une réalité à la fois concrète et empreinte d’une poésie nimbée de fantastique.
Cependant les apparences sont trompeuses. La région et ses habitants sont hantés par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale : persécutions contre la minorité slovène, meurtres, déportations, résistance des partisans… Un chapitre de l’histoire qui a marqué chacun dans sa chair, infligeant des blessures inguérissables. Le père, suicidaire, vit au rythme de crises de fureur et d’angoisse qui dévastent l’existence de sa famille ; la grand-mère rappelle sans relâche ce qu’elle a vécu à Ravensbrück ; la mère, mal aimée, essaie de s’en sortir et de s’émanciper.
Dans cet univers marqué par la violence, l’enfant tente de se préserver. L’histoire et ses terreurs sont un poison qui s’insinue en elle au point de l’empêcher de vivre. Il n’y aura de salut que dans le départ, les études et, plus tard, le théâtre et l’écriture. Un salut qui n’en reste pas moins problématique, car parvient-on à s’extraire de la gangue du passé ? Rien n’est moins sûr. C’est sans doute la reconnaissance de cet « attachement » irréversible qui fonde le récit et la possibilité pour l’auteure d’interroger l’histoire de son pays, de se chercher, de s’éprouver dans une complexité qui lui interdit une identité figée. Combat pour faire entendre la voix d’une réalité historique, oui. Posture identitaire, non. Ce qui frappe dans ce roman dense, douloureux, mais écrit avec une grâce singulière, c’est le courage de celle qui a su préserver le don du questionnement sans céder à la tentation du repli.
Le texte, qui joue sur des registres très différents, est superbement rendu par la traduction, qui sait tout aussi bien épouser les rythmes de la nature que suivre la voix narrative dans l’énoncé torrentueux des horreurs de la guerre.
Maja Haderlap
L’Ange de l’oubli
Traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Banoun
Postface par Ute Weinmann
Éditions Métailié, 2015
[/boxed_content] [blank_spacer height= »30px » width= »2/3″ el_position= »first last »] [boxed_content type= »coloured » custom_bg_colour= »#F5BCA9″ custom_text_colour= »#4C0B5F » pb_margin_bottom= »no » width= »2/3″ el_position= »first last »]
Les dernières Assises de la traduction à Arles, consacrées aux voix de l’enfance, ont remis à l’honneur le célèbre texte de Carlo Collodi, Les Aventures de Pinocchio. C’est un plaisir que de relire les heurs et malheurs du pantin de bois jusqu’à sa transformation ultime en (bon) petit garçon. On découvre un texte surprenant, bien éloigné des versions aseptisées que l’on connaît par certaines adaptations pour la jeunesse. En dépit des apparences, Pinocchio est tout sauf une banale exhortation à être un enfant obéissant. Le désir, la curiosité, le goût de l’aventure sont bien trop puissants pour être de simples marques d’immaturité qu’il convient de surmonter au plus vite. Chaque fois que Pinocchio veut se conformer à ce qu’on attend de lui, une circonstance ou une rencontre viennent le détourner de sa résolution.
On est frappé par le caractère sombre, parfois très noir, du récit, la présence constante de la peur et de la tromperie. Et on a le sentiment de lire un conte initiatique qui conduirait de l’égoïsme initial à l’épanouissement du cœur et de la compassion, rendant possible la métamorphose finale de Pinocchio – à ceci près, toutefois, que l’on ne sait pas toujours, dans le cours de la narration, si Pinocchio est un pantin de bois ou un enfant. Quelque chose, dans cette histoire, reste indécidable et résolument énigmatique.
L’insolence, l’énergie, le bon cœur de Pinocchio donnent au texte un vigoureux élan de vitalité. Collodi semble avoir déployé un imaginaire qui ne craint pas d’affronter les angoisses les plus intimes, sorte de plongée en eaux profondes (au sens propre, d’ailleurs, si l’on songe à l’épisode du « requin ») pour mieux naître à soi-même. La langue est magnifiquement expressive, vivace et joyeuse – et l’on soulignera ici le talent de la traductrice à rendre cet univers mouvant et éruptif. Bref, une œuvre qui mérite d’être relue et redécouverte.
Carlo Collodi
Les Aventures de Pinocchio
Traduit de l’italien par Nathalie Castagné
Trad. revue par Jean-Michel Gardair
Gallimard, coll. Folio, 2012
[/boxed_content]