Le salon Livre Paris s’est achevé comme il se doit par un climax bien mérité lundi 27 mars, puisque le point final en fut notre atelier « 50 nuances de style, traduire une scène érotique », animé par Paola Appelius et Laura Bourgeois avec la participation de quatre stagiaires de l’ETL – Béatrice Didiot (traductrice d’italien), Laure Motet (traductrice d’anglais), Julia Lopez Ortega (traductrice d’anglais et d’espagnol) et Chloé Billon (traductrice d’anglais, d’allemand et de bosnien-croate-monténégrin-serbe).
Sous le regard amusé d’un appariteur qui a fait de son mieux pour rester impassible, l’heure (qui s’est prolongée d’une vingtaine de minutes, car quand on aime on ne compte pas) a passé vite, le public étant fort occupé à plancher sur deux textes, du très légèrement pimenté au plus hot.
En guise de préliminaires, les participants ont pu découvrir cet extrait d’Obsession de Jennifer Armentrout (J’ai Lu, traduit par Paola Appelius), dans lequel le personnage de Hunter, il faut le savoir, est un extraterrestre impulsif très porté sur la bagatelle et qui diffuse des phéromones irrésistibles pour les Terriennes :
I didn’t hear Hunter move closer, but there he was, so close we were sharing the same oxygen. His fingers under my chin again, tilting my head toward his. Our mouths separated by scant inches. My stomach hollowed and a hot and uncomfortable feeling spread through me like an out-of-control wildfire. Heaviness settled in my breasts and then spread much, much lower.
Questions, avis divergents et interrogations n’ont pas tardé à fuser : le mot « oxygène » était-il capital, sachant que nous parlions d’un baiser avec un extraterrestre ? Était-il important de conserver la forme non verbale des deux phrases suivantes ? Que faire de my stomach hollowed ? Devait-on parler de ventre, d’estomac ? Quelle sensation associer à ce verbe, hollowed, et que faire de cet adjectif, uncomfortable ? En quelques lignes déjà, une question se dessinait : quand on sait que les auteurs anglophones ont une manière tout à fait particulière – et relativement clinique – de décrire les sensations liées à l’érotisme, dans quelle mesure faut-il adapter ?
Après cette mise en bouche, nous étions suffisamment échauffés pour entrer dans le vif du sujet. Jetant notre pudeur par-dessus les moulins, nous voici plongés dans l’action avec cet extrait d’un roman appartenant au genre dark erotica : Seduced in the Dark de CJ Roberts (Pygmalion, traduit par Paule Duverger) :
Caleb’s cock sprang up between us like a living thing. We reached for it at the same time, his hand over mine, and guided it between my legs. I was sore, but wet, and Caleb’s cock slid into me with minimal effort. Caleb gripped my hips, pulling me down as he thrust. “Oh, God,” I cried out. My fingernails dug into his chest, scoring his skin, but Caleb only groaned and thrust into me again. And again. And again.
Dès le deuxième mot, une question cruciale se pose : comment nommer l’organe dudit Caleb, et comment décrire son joyeux surgissement ? Les propositions fusent, les rires aussi, et nous apprenons que les éditeurs français, plus pudiques que leurs homonymes américains, sont formels : hors sexe, membre et, à l’extrême limite, queue, point de salut. Ce qui n’a pas empêché les participants de proférer des propositions à faire rougir les micros du salon du livre. Outre la nécessité de bien visualiser les gestes et positions respectives des protagonistes, là encore s’est posée la question du registre de langue, celle des choix traductifs et éditoriaux (faut-il flouter l’action, la nimber d’une brume suggestive, souvent prisée en France, ou rester dans la description pure et dure, à l’anglo-saxonne ?) et celle de la délicate traduction de verbes dont l’équivalent n’existe pas vraiment en français, comme thrust.
Le temps étant limité, nous n’avons malheureusement pu qu’effleurer le sujet, mais la bonne humeur était au rendez-vous et nous espérons que les participants des deux sexes sont repartis comblés.