par Aude Fondard
Ancienne élève de l’ETL, Aude Fondard se confie sur l’acte de traduire pour la danse dans un entretien croisé avec la maison d’édition Contredanse. Orchestré par Émilie Syssau, également membre de l’ATLF, l’entretien est à découvrir en ligne en attendant la sortie papier de la revue Traduire de la SFT.
« Traduire, c’est prendre un risque, celui de se tromper, d’être inexacte ou de créer des associations d’idées qui ne sont pas forcément à l’œuvre dans le texte source.
Quand j’ai commencé à traduire L’anatomie du centre de Nancy Topf pour les éditions Contredanse, j’ai cherché à me documenter en français dans un domaine que je connaissais bien en anglais et dans la pratique (je suis danseuse et traductrice). Dans un livre traduit de l’anglais américain, j’ai repéré l’expression « techniques de relâchement » pour release technique. Cette traduction me laissait dubitative. J’associais le terme « relâchement » au mot « musculaire ». Or, même si un relâchement des muscles superficiels provient de la pratique des release techniques, il ne me semble pas l’élément à mettre en lumière en premier. Le mot « relâchement » en français dénote, me semble-t-il, un certain laisser-aller qui n’est pas présent dans le champ lexical du mot release [prononcé « riliisə » avec accent tonique sur la deuxième syllabe].
Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster définit actuellement le verbe release par « libérer de la contrainte, du confinement ou de la servitude », puis par « soulager » ou « sortir ». À la fin des années 1990, le dictionnaire American Heritage donnait en synonyme le verbe « let go » qu’on pourrait notamment traduire par « lâcher prise » – l’une des clés de ces techniques.
D’un point de vue contextuel, il me semblait intéressant de traduire technique (au singulier en anglais) par un pluriel, car l’expression release technique fait aujourd’hui référence à une pléthore d’approches anatomiques rencontrées en France sous l’expression « pratiques somatiques ». Le nom de certaines (comme la Skinner Releasing Technique) a été déposé. Les écrits à leur sujet en français sont rares. Elles ne sont pas ou peu enseignées en France alors qu’elles font partie intégrante du cursus d’apprentissage de la danse contemporaine dans d’autres pays. Ceci est bien présenté dans l’introduction et les textes annexes rédigés par Melinda Buckwalter pour L’anatomie du centre de Nancy Topf.
On notera la présence dans le cursus institutionnel français de modules comme « Analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé » ou « La recherche en mouvement » d’Odile Rouquet dont certains outils et exercices présentent des recoupements et des liens avec les release techniques. Leur angle d’approche est toutefois si différent que je ne peux en faire des équivalents de ce qui vient d’Outre-Atlantique. L’intérêt de la vision états-unienne est de ne pas partir d’un postulat externe de départ, de ne pas envisager le mouvement dansé sous un angle analytique et cartésien, mais de partir d’un ressenti intérieur pour aller vers l’extérieur. Traduire release technique par « techniques de libération » serait exagéré mais rendrait compte de l’importance du mot release dans l’appellation d’origine.
Il fallait donc pousser la recherche un peu plus loin, ce que l’équipe éditoriale n’a pas manqué de faire. À l’origine des release techniques qui se sont multipliées dans les années 1980, il y a eu une méthode proposée par la danseuse et enseignante Mary Fulkerson. Cette approche basée sur la méditation et la visualisation d’images mentales s’appelle anatomical release technique – ce qui pourrait très bien se traduire me direz-vous. Mais, pour Baptiste Andrien et Florence Corin des éditions Contredanse, utiliser la dénomination anglaise dans la traduction permet de rendre subtilement à Mary ce qui lui appartient. Et partant du principe que c’est cette approche que Nancy Topf a suivie, nous avons employé le singulier.
J’aime prendre des risques et penser que tout est traduisible, puisque l’idée de mon métier est de transmettre des textes à qui ne lit pas les langues que je traduis. J’aurais donc préféré ne pas avoir de termes anglais dans L’anatomie du centre. Mais ce choix de l’équipe éditoriale parmi d’autres rappelle que l’objet livre est le fruit du travail de bien des gens rendus invisibles par le mot « chaîne du livre », et que le texte en lui-même est le résultat de plusieurs subjectivités mises en équation durant des heures autour des mots de l’auteur ou de l’autrice. »
L’entretien mené par Émilie Syssau lève le voile sur le dialogue permanent dont la traduction en question a bénéficié.