A propos du rapport de Bruno Racine sur l’auteur et la création, chaque organisation doit avoir l’honnêteté de parler en son nom et de respecter la diversité, demandent, dans une tribune au « Monde », des écrivains, des photographes, des chorégraphes, des traducteurs.
L’ATLF et plusieurs de ses membres ont signé cette pétition.
Vous vous intéressez au monde de la culture, et vous lisez, entendez un peu partout : le rapport Racine publié le 22 janvier 2020 est enterré et avec lui les espoirs de toute une corporation ! La rumeur se répand sur les réseaux sociaux et les médias la reprennent comme une vérité avérée. Mais qui répand cette rumeur ? Qui parle en notre nom, nous qui sommes plus de 190 000 à exercer des métiers extrêmement divers, même si nous sommes tous des auteurs ?
Le rapport Racine, commandé par le ministère de la culture, pointait notre précarité. Il était riche de 23 préconisations pour y remédier. Nous voulons affirmer ceci : ce rapport était un point d’étape important et nous avons tous salué l’intérêt de sa parution et les aspects intéressants de son contenu, mais certaines de ses préconisations sont loin de faire l’unanimité parmi les auteurs que nous représentons.
Nous déplorons donc vivement que seule la parole des organisations réclamant l’application stricte de ce rapport soit relayée dans les médias.
En d’autres termes : non, tout n’est pas bon à prendre dans le rapport Racine et non, il n’est pas admissible que certains parlent au nom des autres sur des sujets aussi importants que les élections professionnelles, le statut de l’auteur, la représentativité ou le contrat de commande.
Pourquoi nous mobilisons-nous ?
Nous sommes tous d’ardents défenseurs de la liberté de parole et d’opinion. Mais chacun, ou chaque organisation, doit avoir l’honnêteté de parler en son nom, de respecter la diversité et d’accepter la contradiction.
Car certains – qui prétendent donc parler au nom de tous les auteurs – font de l’application intégrale et sans concertation du rapport Racine, et notamment de la tenue d’élections professionnelles, un préalable. Ce qui a pour conséquence de bloquer toute avancée. Accaparant la parole dans les réunions de concertation au ministère de la culture ou ailleurs, ils se présentent comme seuls légitimes, et donc audibles dans les médias qu’ils semblent concevoir comme le lieu de la représentativité.
La défense des auteurs ne peut être figée ni par une pensée qui s’autoproclame unanime ni par l’obsession électoralisto-médiatique de quelques-uns. « Si on organise des élections, ces parasites disparaissent », écrit une fondatrice de la Ligue des auteurs professionnels (LAP) dans un fil de discussion public.
Et il ne s’agit que d’un exemple parmi les multiples attaques, insultes, contrevérités qui circulent dans les réseaux sociaux à l’encontre de ceux qui ont le malheur de ne pas suivre leur ligne idéologique. Les élections envisagées auraient-elles ainsi pour motivation l’élimination d’adversaires plutôt que l’intérêt des auteurs ?
Qu’est-ce qui fait débat dans le rapport Racine ? En premier lieu, donc, les fameuses « élections professionnelles ». Elles supposent, pour déterminer qui serait électeur ou éligible, de créer un « statut de l’auteur professionnel », ce qui rend un grand nombre d’entre nous pour le moins perplexes. D’abord de quelle élection parle-t-on ? Un Conseil national des artistes auteurs ? L’idée semble déjà abandonnée par ceux-là mêmes qui la défendaient.
Alors quoi d’autre ? Et puis comment concevoir des critères objectifs permettant de définir qui est ou n’est pas professionnel chez les auteurs ? On a beau scruter les formules figurant dans le rapport, en chercher de nouvelles, rien n’y fait : disparaîtraient automatiquement de la liste bon nombre d’entre nous à commencer par les poètes, la plupart des compositeurs de musique contemporaine, les auteurs en devenir, ceux qui ont réussi pendant un temps puis ne publient plus pour toutes sortes de raisons, ceux qui travaillent et écrivent sans relâche, trouvent des éditeurs et sont publiés mais ont de tout petits revenus, sans compter la plupart de ceux qui s’autoéditent. Beau résultat.
Nous exerçons un métier fragile, aléatoire et singulier. Notre statut existe déjà, nous l’avons hérité de la Révolution, il s’appelle le droit d’auteur. Droit de l’homme et des travailleurs qui créent, le droit d’auteur protège les œuvres et les créateurs. Le lieu de résolution des abus est le code de la propriété intellectuelle. Il est certes largement perfectible et doit être constamment modernisé mais il représente un espace suffisamment accueillant pour être appliqué à tous les métiers de la création, y compris ceux qui n’existent pas encore.
Une question de justice et de respect
Il y a bon nombre d’autres sujets de ce rapport qui suscitent des réserves, notamment l’encadrement du contrat de commande, quasiment inapplicable à la diversité de nos métiers et risquant de modifier en profondeur les rapports avec nos commanditaires, au risque de glisser vers le régime du copyright (dépossession du droit d’auteur) ou du salariat (lien de subordination).
Restons-en au fond du problème qui est tout simplement une question de justice et de respect. Parole plurielle, volonté commune.
La diversité des points de vue est une richesse si elle permet le débat, une source de frustrations, de division et de sentiment d’injustice si elle n’est pas respectée. Comment alors se donner une chance de peser de manière équilibrée dans les rapports de force face à nos commanditaires, éditeurs, producteurs, face à l’Etat ou aux structures qui gèrent nos droits sociaux, nos formations ? Cette sorte de guerre civile, que nous n’avons jamais ni recherchée ni entretenue nous mène droit dans le mur. Les auteurs en feront les frais, et cela nous met en rage.
Certains d’entre nous, signataires de cette tribune, sont engagés dans des associations, syndicats ou organismes de gestion collective qui œuvrent sans relâche, sans complaisance et en toute indépendance à la défense des auteurs depuis des décennies, et qui représentent des dizaines de milliers d’entre eux.
Nous voulons qu’aucun auteur ne soit oublié, invisibilisé. Que toutes les paroles soient entendues, et respectées. Nous refusons le régime de pensée unique, d’exclusion, et de chasse aux sorcières que l’on cherche à nous imposer, lui préférant un chœur à plusieurs voix, soudé dans sa détermination à obtenir des avancées favorables à tous les auteurs.
Les signataires de cette tribune :
Paola Appelius, traductrice, présidente de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)
Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC)
Matthieu Baudeau, auteur photographe, président de l’Union des photographes professionnels (UPP)
Vanessa Bertran, dialoguiste, présidente de l’Union professionnelle des auteurs de doublage (UPAD)
Bessora, écrivaine, présidente du Conseil permanent des écrivains (CPE)
Gréco Casadesus, compositeur, président-fondateur de l’Union des compositeurs de musiques de films (UCMF)
François Caspar, designer, président de l’Alliance française des designers (AFD)
Sylvestre Clancier, écrivain, poète, essayiste, président d’honneur du PEN Club français
Jean-François Cornu, traducteur-adaptateur, membre de l’Association des traducteurs-adaptateurs de l’audiovisuel (ATAA) et de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)
Guy-Pierre Couleau, président du Syndicat national des metteurs en scène (SNMS)
Françoise Coulmin, poète, Maison de la poésie
Vincent Dheygre, écrivain, président des Ecrivains associés du théâtre (EAT)
Simone Douek, documentariste sonore, présidente d’honneur du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC)
Christophe Hardy, écrivain, président de la Société des gens de lettres (SGDL)
Laurent Jaoui, réalisateur, président de l’Union des réalisatrices et des réalisateurs (U2R)
Laurent Juillet, compositeur, président de l’Union nationale des auteurs et des compositeurs (UNAC)
Jean Le Boël, poète, écrivain, secrétaire général de la Maison de poésie et du PEN Club
Micheline Lelièvre, chorégraphe, coprésidente des Chorégraphes associé.e.s
Didier Mayemba, chorégraphe, coprésident des Chorégraphes associé.e.s
Cécile Vargaftig, scénariste, écrivaine, coprésidente des Scénaristes de cinéma associés (SCA).