Parcours de vie

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Pour commencer, un roman qui n’est pas tout à fait ce qu’il paraît. Avec Les Nuits de laitue, Vanessa Barbara signe une œuvre loufoque, que l’on pourrait facilement réduire à son humour exubérant et son ton vif et alerte. Ce serait passer à côté de la singularité de ce premier roman, parfaitement maîtrisé, qui distille sans en avoir l’air quelques aperçus poignants sur les abîmes qui se cachent derrière la façade du quotidien.
Failles des personnages, naufrage de l’âge, emprise dévorante du passé, violence sous-jacente qui n’a parfois besoin que d’une étincelle pour s’embraser, tels sont les ingrédients, parmi d’autres, qui travaillent l’existence de la petite communauté dépeinte. Et ce n’est pas un hasard si lesnuitsdelaitueplat1-l-572119ces pages sont parcourues par une obsession du médicament et de ses effets secondaires, véritable fil narratif qui, tout en assurant un des ressorts comiques, trace souterrainement un sillon délétère. Le médicament, remède ou mal ? Le poison des drames de la grande ou de la petite histoire (du reste intimement mêlées) n’en finit pas de se diffuser, à l’instar de ces cafards qui prolifèrent dans la cuisine d’une des protagonistes.
Mais tout cela emprunte la voix de l’extravagance, peut-être pour ne pas céder à la tristesse. Et aussi, qui sait, parce que l’extravagance est le moyen idéal de naviguer dans l’entre-deux où semblent se réfugier ces personnages, qui se demandent en permanence s’ils rêvent ou s’ils sont éveillés. Jusqu’à vouloir pratiquer le « rêve lucide » – rêver en ayant conscience de rêver –, au risque de brouiller les frontières. Vanessa Barbara crée un drôle d’univers, où le grotesque le dispute sans arrêt au tragique. Mais tragique, tristesse, deuil ou folie n’ont droit de cité que masqués, ou alors empreints d’une extrême discrétion. C’est ce qui fait, sans doute, une grande partie de la force du récit.
On soulignera l’excellence de la traduction, où l’on sent le plaisir du mot juste, l’élan qui restitue le dynamisme de l’écriture et le caractère alerte des dialogues. Une brillante réussite.

Vanessa Barbara
Les Nuits de laitue
Traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec
Zulma, 2015

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Après Le Tabac Tresniek (2014), les éditions Sabine Wespieser poursuivent la publication en français des romans de Robert Seethaler avec Une vie entière. Il y est là aussi question d’un de ces destins éprouvés par l’histoire, d’un de ces hommes « simples » qui atteignent à quelque chose de plus grand que ne le laisserait attendre la modestie de leur condition. Une grandeur qui ne tient pas, on s’en doute, à la réussite seethaler-une-vie-entic3a8resociale, mais plutôt à la capacité d’habiter sa vie sans concession, dans l’âpreté comme dans la douceur.
Dès l’enfance, Andreas Egger fait l’épreuve de la perte, du manque d’amour et de la violence des coups. Mais ce qui aurait pu le briser lui forge une âme d’airain, qui lui permettra à la fois de connaître les beautés de la vie et de l’amour et de traverser les plus grandes douleurs sans y laisser son intégrité. Et l’on retrouve cette authenticité dans le rapport qu’il entretient avec la nature toute-puissante – pour le meilleur et pour le pire – des montagnes qui forment le décor de sa vie. Doué d’une réceptivité presque animale, il vit en accord étroit avec son environnement, sensible à ses merveilles, mais d’une façon organique, sans jamais les idéaliser. Elles sont peut-être à l’image de ce qui pourrait passer pour un principe de vie : « élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible ».
Le personnage aurait pu, malgré tout, rester figé dans une forme de passéisme. Or l’un des aspects les plus surprenants de ce récit est justement la place qu’il donne à la “modernité”, symbolisée ici par l’arrivée du téléphérique dans la région. Egger se fait l’un des artisans, et non des moindres, de cet avènement. Mais toujours à sa manière, ni vraiment dedans, ni complètement dehors, en funambule oscillant sur les câbles, fils et autres filins qui créent le lien. La traduction, dans sa justesse, témoigne d’une affinité évidente avec le monde de l’auteur.

Robert Seethaler
Une vie entière
Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes
Sabine Wespieser, 2015

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