Le métier de traducteur « pragmatique » (travaillant non seulement dans le domaine technique et industriel mais aussi juridique, économique, financier…) est-il vraiment le même que celui de traducteur littéraire ? C’est la question que je me suis posée en assistant à la dernière « Matinale » de la SFT où Mme Geneviève Bordet, de Paris VII, parlait de la recherche documentaire appliquée à la traduction. Mon premier mouvement fut de répondre : non !
La finalité de notre travail n’est pas la même. Les traducteurs « pragmatiques » doivent mettre à la disposition de leurs commanditaires, dans leur langage, un contenu, des données, un savoir. Ils doivent se plonger dans la langue des clients, en écoutant la radio, en lisant des revues spécialisées, en fréquentant les forums, etc. L’attitude est exclusivement « cibliste ». L’important n’est pas la voix, le discours de l’auteur, mais le contenu de ce discours. La responsabilité du traducteur est alors engagée non envers l’auteur, mais envers le message factuel qu’il délivre. Les traducteurs littéraires, eux, doivent s’immerger dans la langue des auteurs et essayer de la recréer, de la faire renaître en français. Retrouver le ton, le rythme, le souffle de la phrase ; le contenu n’est qu’un élément parmi d’autres, il peut parfois être mis de côté.
Le déroulement de nos carrières n’est pas non plus le même : nous sommes, semble-t-il, massivement free lance, alors que beaucoup de traducteurs « pragmatiques » travaillent dans des sociétés ou organisations diverses. La recherche de « clients » est, elle aussi, différente.
Le premier sentiment de dépaysement passé, j’ai quand même voulu y regarder de plus près. Que nous dit Geneviève Bordet ?
Qu’il faut acquérir une familiarité avec le domaine nouveau que l’on aborde.
Qu’il faut développer une sensibilité particulière aux termes nouveaux ou récurrents.
Qu’il ne faut pas se laisser déborder par les recherches documentaires.
Qu’il faut de la rigueur en toute chose !
Les voilà, les points communs ! Quant à la recherche documentaire (dictionnaires, forums, sites, bibliothèques, etc.) – c’est la même chose pour tous. Et comment ne pas être d’accord avec la dernière proposition :
Il faut retrouver le plaisir de la découverte et de la recherche…
Puisse aucun traducteur, pragmatique ou littéraire, ne l’avoir perdu !
Nous n’avons pas encore, heureusement, à nous soucier de la traduction automatique, de la TAO et de leur inévitable conséquence : la post-édition (quand un humain vérifie et corrige le travail des machines).
À ce propos, vive la terminologie ! La traduction « manuelle », c’est-à-dire non assistée par ordinateur, s’appelle officiellement « biotraduction ». J’aurais plutôt pensé à « anthropo-traduction » – mais non, ce serait réducteur. « Biotraduction », cela ouvre de nouveaux horizons : il suffira de quelques modifications génétiques et nous pourrons mettre à l’ouvrage les perroquets, les calamars, les algues bleues…