Non, l’intelligence artificielle ne remplacera pas les traducteurs et traductrices, mais elle détruit leur métier !

Plusieurs universitaires, membres du bureau de l’AFFUMT, l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction, ont signé une tribune dans Le Monde datée du lundi 9 septembre. L’ATLF, association professionnelle des métiers de la traduction littéraire, souhaite y réagir, tant l’affirmation avancée dans son titre est trompeuse : « Non, l’intelligence artificielle ne remplacera pas les traducteurs et les traductrices ! »

Sous couvert de désaffection des étudiants et étudiantes (et de leurs parents) pour les filières universitaires de traduction, cette tribune défend l’idée que les avancées technologiques permises par l’IAG (intelligence artificielle générative) ne menacent pas les métiers de la traduction, mais amorcent au contraire une mutation inéluctable qui doit être accompagnée dès la formation.

La généralisation de la post-édition, c’est-à-dire la reprise par un être humain d’un texte généré par une technologie de traduction automatique, est synonyme d’une précarisation importante de la profession. Amorcée avec les moteurs de traduction automatique neuronale, cette précarité est aujourd’hui renforcée par la percée récente des moteurs d’IAG. Présenter l’IAG comme un « outil de créativité » garantissant une rémunération et une reconnaissance justes conduit à introduire de faux espoirs. C’est aussi faire l’impasse sur les enjeux éthiques, juridiques, sociaux et environnementaux que soulèvent ces technologies. Cette tribune ne dit pas un mot de la post-édition. Cependant, ne nous voilons pas la face, ce qu’elle prône est bien l’intégration de cette pratique aux cursus universitaires, à savoir former les étudiantes et étudiants à remanier des textes passés préalablement à la moulinette d’une machine.

Aux côtés d’autres organisations professionnelles, l’ATLF mène depuis plusieurs années un travail d’analyse et de réflexion sur l’impact que les acteurs de la traduction automatique neuronale, et aujourd’hui de l’IAG, ont sur les métiers de la traduction. Elle affirme qu’il est essentiel de prendre au sérieux les inquiétudes exprimées par les traducteurs et traductrices en activité ou en devenir.

C’est justement à partir de ces expériences individuelles qu’ont pu être retracées, dans des enquêtes et des rapports de recherche, les mutations préoccupantes déjà à l’œuvre dans les métiers de la traduction. Notre enquête menée fin 2022 auprès des traductrices et traducteurs ayant pratiqué la post-édition est formelle : le gain de temps pourtant mis en avant par les donneurs d’ordre est nul, les conditions de rémunération sont dégradées et l’aliénation à une forme de travail plus fastidieuse ressort très nettement.

C’est pourquoi l’ATLF, dans sa tribune conjointe avec ATLAS, dénonce la pratique de la post-édition dans le domaine de la traduction. Non seulement parce que ce procédé, qu’on ne saurait apparenter à de la traduction, aboutit à une qualité médiocre, mais également parce qu’il contribue à la précarisation inexorable de toutes celles et ceux qui la pratiquent. Ce texte s’accompagne d’un travail continu visant à documenter les effets de la traduction automatique et à donner des outils aux traducteurs et traductrices d’édition pour s’opposer à ces pratiques, par exemple via l’introduction d’un droit de retrait, dit d’opt-out, dans les clauses de son contrat type.

Non, refuser l’usage de l’IAG n’est pas une attitude dictée par des affects ou une technophobie primaire : c’est une mesure de préservation de notre savoir-faire. Non, dénoncer systématiquement les risques délétères que nous encourons à laisser grandir les acteurs du marché qui avalent nos données textuelles en toute opacité, au mépris de la propriété intellectuelle, pour perfectionner leurs « services » au risque de se passer des nôtres n’est pas un combat d’arrière-garde.

Oui, transmettre à des étudiantes et étudiants éclairés la subtilité et le temps qu’il faut pour devenir un bon traducteur, les renseigner sur les acteurs et les rapports de pouvoir qui traversent les métiers de la traduction, les rendre fiers de ce savoir-faire profondément humain, voilà ce que l’on peut attendre d’une formation universitaire : pas une simple « valeur ajoutée ». Et il est aussi dans la mission des formateurs d’informer les étudiantes et étudiants sur les impacts sociétaux et environnementaux d’une technologie qui se présente comme un outil professionnel.

L’ATLF accueille tous les ans de nombreux nouveaux adhérents, étudiantes, étudiants, traductrices et traducteurs en début de carrière. Nous menons un travail de fond pour les informer, de manière réaliste, sur les difficultés d’exercice de la traduction d’édition, conscients de l’enjeu de renouvellement de notre profession que nous impose leur intégration. Pour que notre métier puisse continuer d’exister, nous devons pouvoir nous appuyer sur des personnes possédant l’outillage intellectuel critique nécessaire à la perpétuation de notre savoir-faire.

Nous en appelons à la responsabilité de l’ensemble des formations universitaires et leur demandons de s’engager fermement contre l’enseignement à l’université de la post-édition et de garder au cœur de la transmission la dimension profondément humaine de la traduction.

Le C.A. de l’ATLF