L’année entamée a déjà été très riche en actualités pour les artistes auteurices, et donc pour les traducteurices : coupes budgétaires, gel du Pass Culture, abaissement du plafond de la TVA, enquêtes parlementaires sur les budgets de la culture, rapport de la Cour des comptes sur la gestion de la Sécurité Sociale des artistes-auteurs – dont l’avenir est aujourd’hui très incertain.
Ces événements politiques, qui témoignent d’un climat défavorable, pour ne pas dire hostile à la culture, viennent s’ajouter à deux dynamiques de fond dont notre métier subit toujours plus les effets : l’irruption de l’IA dans tous les secteurs de la création – y compris le livre ; et la concentration croissante du monde de l’édition.
Nous proposons ici un focus sur la manière dont l’ATLF se mobilise aujourd’hui, et dont elle envisage l’avenir et le périmètre de son action.
2025 : une année intense…
L’ATLF s’investit comme toujours dans sa mission de défense du métier de traduction d’édition, à travers ses initiatives de plaidoyer, de formation, de communication et d’action culturelle – ce dernier volet subissant lui aussi l’annulation et la réduction d’événements.
Ainsi, l’ATLF a procédé cette année à sa traditionnelle enquête sur la rémunération de manière beaucoup plus détaillée et approfondie. Les résultats, dressent le portrait d’une profession qualifiée, expérimentée, mais toujours plus précaire – et résolument opposée à l’usage de l’IA comme au pillage de nos œuvres pour son alimentation.
Ces données nous permettront de préparer la renégociation du Code des usages de la traduction d’une œuvre d’édition, qui débutera à l’automne. Ce chantier au long cours mobilisera l’ensemble du Conseil d’administration, notre juriste Jonathan Seror ainsi que les membres de l’ATLF qui ont joint leurs forces au groupe « Conditions de travail », qui œuvre depuis plus d’un an à la planification de ces discussions.
La richesse de cette enquête nous fournit également une matière précieuse pour les interventions de l’ATLF sur deux sujets cruciaux : l’intelligence artificielle et la proposition de projet de loi (PPL) Continuité de revenus.
Concernant l’IA, l’ATLF et son groupe de travail poursuivent leur patient labeur de pédagogie et de persuasion pour préserver notre métier et l’ensemble de la chaîne éditoriale de l’intrusion de l’IA.
Nous pourrons notamment nous appuyer sur ces deux chiffres de l’enquête : 93 % des traductrices et traducteurs n’ont pas recours à l’IA pour traduire ; et 84 % s’opposent à l’usage de leurs œuvres pour alimenter les modèles de langage – même contre rémunération.
De même, dans le cadre de la mission Flash lancée par l’Assemblée nationale autour de la PPL Continuité de revenus, nous pourrons rappeler que 71 % des traductrices et traducteurs se considèrent comme précaires, que la durée moyenne de nos congés annuels est de 3,2 semaines et que près de la moitié d’entre nous ont déjà vécu un burn-out ou un état dépressif lié à nos conditions de travail.
Pour clore le bilan du semestre sur une note positive, la profession et l’ATLF peuvent tout le même s’enorgueillir d’une bonne nouvelle en ce premier semestre 2025 : l’entrée en vigueur du nouveau tarif-plancher du CNL, à 24 € la tranche informatique de 1300 signes ou le feuillet dactylographié, fruit d’intenses discussions avec le CNL et le SNE.
… et après ?
Cette victoire et ces projets d’amélioration de nos conditions nous mobilisent et renforcent notre détermination. La question se pose alors de savoir comment défendre au mieux les intérêts de nos membres, et de toute la profession, sans perdre de vue le contexte.
L’ATLF est la seule organisation à pouvoir porter certains combats historiques, comme le tarif CNL, le Code des usages et la visibilité : cependant, elle ne peut se permettre d’ignorer les dynamiques de fédération à l’œuvre dans le domaine des artistes-auteurices.
Comme on l’a vu pour l’IA, l’action conjointe avec d’autres associations et en particulier de traducteurices d’autres secteurs (ATLAS, l’ATAA, l’ATESS, le Collectif en chair et en os) est porteuse : sur ce sujet, les traductrices et les traducteurs sont à la pointe de la réflexion et de l’action. Nous cherchons actuellement à élargir le front de mobilisation à d’autres métiers relevant (ou non) du statut d’artiste-auteurice : illustration, écriture, journalisme… C’était notamment l’objet de la participation de l’ATLF au « hackathon » organisé par la Ligue des auteurs et le SMC (Syndicat des compositrices et compositeurs de musiques contemporaines) en juin.
De même pour la proposition de loi Continuité de revenus : c’est le travail collectif de syndicats (en particulier le STAA et le Snap) qui a permis cette réflexion, la recherche d’une solution et finalement le projet de proposition de loi que l’ATLF défend aux côtés de nombreuses organisations, associatives ou syndicales. Certaines de ces mêmes organisations ont par ailleurs initié le mouvement Cultures en lutte, qui regroupe pour la première fois des artistes-auteurices et des professionnel·les du spectacle vivant et des musées.
Ces expériences de fédération avec d’autres secteurs de la création sont fécondes et incontournables si les artistes-auteurices souhaitent obtenir des avancées. Elles restent cependant fragiles et demandent une énergie considérable : nos métiers du livre et de la création n’ayant eu que très peu de représentation syndicale ces dernières décennies (comparativement par exemple aux intermittent·es du spectacle), tout est à inventer ou presque.
D’autres métiers du livre font d’ailleurs le même constat, à commencer par les éditeurs et éditrices. Ainsi, les maisons d’édition indépendantes se sont récemment fédérées au sein de la FEDEI pour défendre leurs maisons face à des groupes toujours plus puissants. Parallèlement, pour lutter contre la mainmise de l’extrême droite sur les médias et l’édition, une cinquantaine de maisons d’édition indépendantes a publié le recueil Déborder Bolloré.
Le monde de la culture l’a compris : seule l’action collective nous permettra d’améliorer notre condition, au-delà du simple horizon de nos métiers. Elle est également une réponse joyeuse et efficace à l’isolement inhérent à notre activité.
L’ATLF entend donc poursuivre sa dynamique collective interne, lancée en 2024 avec la création de ses groupes de travail, où l’implication des membres permet de faire face à de nombreux chantiers, et de nous préserver ensemble de l’épuisement associatif.
Pour réfléchir plus largement aux modes d’action collective qui nous permettront de défendre la traduction, l’ATLF et ATLAS vous donnent rendez-vous aux Assises de la traduction littéraire à Arles, pour la table ronde professionnelle qui portera précisément sur les différents types d’organisation dans notre métier.