Non pas le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, mais, pleine d'humour, une autre solution à l'invisibilité des traductrices et des traducteurs telle que l'imagine Françoise Wuilmart. Attention, vous non plus n'êtes pas à l'abri d'une révélation, la prochaine fois que vous prendrez l'avion!
par Françoise Wuilmart
Me voici à l’aéroport, une fois de plus, vers un colloque de plus, consacré bien sûr à la traduction littéraire : très exactement à la visibilité du traducteur. Dont on débattra cette fois à Barcelone.
On connaît la chanson : le tâcheron ancillaire se pousse du col pour sortir de l’ombre, mais qui lui tend la main ? Va-t-on vanter haut et fort la marque d’une « machine » et lui donner la préséance sur le produit transformé, pire encore : sur la matière première ?
Dans ma poche je tiens au chaud mon plaidoyer, véhément comme toujours mais convaincant j’espère. Si je fais le bilan : certes, il y a progrès, les médias mentionnent plus souvent notre nom, commencent à comprendre que le traducteur est un co-auteur ; quand on nous cite, heu pardon… quand on cite l’auteur (ne pas confondre), on commence petit à petit à se rendre compte que ledit auteur n’a pas écrit un seul mot du texte lu en français ! On commence….
Avant de monter dans l’avion, je vais tenter de me refaire une beauté, un vent terrible m’a décoiffée ! Nous y voilà : à gauche pour les « hommes », au milieu pour « les femmes et les handicapés ». Et à droite ???
Bon Dieu ! Comment n’y ai-je jamais songé, mais oui, elle est ici la solution, le moyen de nous rendre enfin concrètement et tangiblement visibles ! Donc à gauche : hommes, le premier sexe ; au milieu : femmes et handicapés : le deuxième sexe … ; et à droite : le troisième sexe, les traducteurs et les traductrices… Préférons à cela une seule appellation, bisexuée : les traductaires ! Des salles d’eau rien que pour nous, qui méritons aussi tant d’égards à part.
Oui, plus j’y pense et plus il me semble que topographiquement nous pourrions là exhiber notre différence, attirer les regards sur notre identité collective. Et qui sait, un homme, une femme, un handicapé aurait-il alors peut-être l’envie de pousser notre porte pour voir à quoi nous ressemblons et (on peut rêver !) un critique littéraire, un journaliste irait-il jusqu’à vouloir se mêler à nous et nous prêter une oreille favorable ?
Oui décidément, les toilettes de l’aéroport : la solution est là ! Car c’est le lieu du Passage par excellence : passants, passagers et nous passeurs ! Nous qui compassons la langue, et qui pour ce faire nous dépassons parfois jusqu’à en trépasser… On ne nous outrepassera plus !
Car en définitive, les maisons de traduction, les collèges de traducteurs ne contiennent que des traducteurs, peu de déambulations devant leurs portes ! Tandis qu’ici… on va déton(n)er ! Voilà l’endroit ad hoc, le lieu où faire valoir notre revendication au titre d’auteur à part entière : mérité grâce à l’originalité de notre production, du produit qui est une œuvre portant l’empreinte de notre personnalité, de notre indiscutable ADN !
Je renonce à prendre l’avion, c’est ici que je parlerai de notre visibilité, pas à Barcelone ! J’en parlerai et surtout j’agirai. Je me rends illico au bureau de la direction et expose mon projet.
J’attends la réponse…