Un balcon à Shanghai

par Terje Sinding

« Une bonne douzaine de vieilles baraques de deux étages formaient comme une vallée encaissée au milieu de hauts immeubles. »

Dans une de ces maisons vivent Zhang Yingxiong et ses parents. Leur masure est vouée à la démolition, et ils reçoivent un jour la visite de Lu Zhiqiang, un représentant de la municipalité chargé du relogement. Celui-ci leur propose une indemnisation, mais le père de Yingxiong s’insurge devant la modicité de la somme. Peu de temps après, il meurt d’une crise cardiaque. Sa veuve finit par accepter l’offre, mais l’argent touché ne lui permet pas de trouver un autre logement et elle est réduite à s’installer chez son frère.

Yingxiong tient Lu Zhiqiang pour responsable de la mort de son père. Obsédé par l’idée de venger ce dernier, il se fait embaucher comme serveur dans un restaurant de fast-food dont une fenêtre arrière donne sur l’immeuble où vit le fonctionnaire. Il peut ainsi profiter de ses pauses pour l’espionner. Il découvre que l’homme a une fille, Lu Shanshan, qui passe l’essentiel de son temps à broder, assise sur le balcon fermé de son appartement. Elle ne sort que rarement, et Yingxiong comprend petit à petit qu’elle souffre d’un handicap mental. De plus en plus fasciné par la jeune fille, il se met à la suivre dans la rue. Un matin, il finit par la coincer et l’embrasser de force, mais Lu Shanshan parvient à se dégager, et Yingxiong la voit s’éloigner dans la lumière du soleil levant.

Le bref roman de Ren Xiaowen se passe à Shanghai, mais nous sommes loin de la modernité insolente du quartier d’affaires et de la belle carte postale du Bund. Le monde où évolue Yingxiong est celui des faubourgs pauvres, peuplés de migrants de l’intérieur et d’employés plus ou moins précaires. Un monde que l’autrice dépeint par petites touches, mais auquel elle parvient à donner une dimension presque fantastique sans jamais se départir du réalisme. Par le thème du voyeurisme, son livre se rapproche du cinéma : on pense bien sûr à Fenêtre sur cour, de Hitchcock, comme sa traductrice le fait justement remarquer dans sa préface, mais peut-être plus encore à la première partie de Sueurs froides, où James Stewart espionne une Kim Novak muette et inaccessible. Et le rapport entre Yingxiong et son collègue Shen Zhong – une petite frappe aux cheveux teints en rouge, qui l’initie au vol à la tire – n’est pas sans rappeler le néoréalisme italien.

Brigitte Duzan, spécialiste de la littérature et du cinéma chinois, inaugure avec ce roman subtil la nouvelle collection qu’elle dirige à L’Asiathèque. On ne peut que lui être reconnaissant de nous faire découvrir une autrice de tout premier ordre, d’autant que sa traduction démontre une grande connivence avec l’univers fascinant de Ren Xiaowen.

 

Ren Xiaowen
Sur le balcon
Présenté et traduit du chinois par Brigitte Duzan
L’Asiathèque, 2021