Terje Sinding inaugure cette rubrique « Les coups de coeur des traducteurs », en parlant du dernier livre de Sergi Pàmies « La Bicyclette statique », traduit par Edmond Raillard.
Depuis quelques années, je guette chaque parution de Sergi Pàmies, et c’est à chaque fois un ravissement.
Ravissement qui commence souvent par le titre : Aux confins du fricandeau, On ne peut pas s’étouffer avec des vermicelles, le Grand Roman de Barcelone (qui n’est pas un roman, mais un recueil de nouvelles), Si tu manges un citron sans faire de grimaces, et l’inénarrable Dernier Livre de Sergi Pàmies (qui, fort heureusement, ne fut pas son dernier, mais dont l’intitulé est un clin d’œil à cette phrase tant de fois entendue chez les libraires : « Je cherche le dernier livre d’Untel ».)
Ravissement qui se poursuit à la lecture des textes, généralement de très courtes nouvelles (même si Pàmies a fait quelques incursions dans le domaine du roman). On y découvre un ton inimitable, mélange de légèreté et de mélancolie, d’ironie et de gravité.
Son dernier recueil en français, la Bicyclette statique, ne fait pas exception à la règle. Mais il y a ici quelque chose de nouveau, une angoisse devant le temps qui fuit, une nostalgie devant un passé dont on sait pourtant qu’il ne fut pas si merveilleux. On revient sur ses pas, on rumine ses échecs, on est confronté à soi-même. Parfois de manière tout à fait littérale, comme dans le premier texte du recueil, qui s’ouvre sur cette phrase : « J’ai rendez-vous avec moi-même dans deux heures. » Parfois de façon plus détournée, comme dans « Quatre nuits », où le narrateur raconte comment ses parents l’ont conçu après avoir vu les Nuits de Cabiria, de Fellini. Ou dans « La Carte de la curiosité », récit d’un homme mûr évoquant le jeune émigré catalan qu’il fut – autoportrait subtil et pudique de l’auteur, né de parents réfugiés politiques dans la banlieue parisienne. Ou encore dans le bouleversant « Aller au lit de bonne heure », mettant en scène un père divorcé qui voit ses enfants grandir et lui échapper.
Il y a vingt nouvelles en tout, et on voudrait les citer toutes. Certaines sont ultra-courtes, aucune ne dépasse les dix pages ; ce sont des miracles de concision. Edmond Raillard, traducteur attitré de Sergi Pàmies, a encore une fois magnifiquement restitué l’écriture de l’auteur, où le désespoir se pare d’élégance et d’humour.
Sergi Pàmies, la Bicyclette statique. Nouvelles traduites du catalan par Edmond Raillard. Editions Jacqueline Chambon, 2011, 108 p., 14,50 €.