Hommage du CETL à Bernard Hoepffner

En 1989 le CETL ouvrait ses portes, et comme « Charles V » à Paris il comptait bien ne faire appel qu’aux meilleurs professionnels de la traduction littéraire pour former ses ouailles. Bernard répondit aussitôt à l’appel pour le plus grand bonheur et le plus grand honneur des étudiants. À la lecture du palmarès du professeur, tous s’attendaient à accueillir un Monsieur respectable en costume et cravate, Dieu merci c’est un personnage dégingandé portant jeans et boucle d’oreille unique, à la tignasse dans le vent, qui allait, des années durant, nous dispenser son immense savoir d’autodidacte érudit et de traducteur hors pair. Il nous venait tantôt du sud de la France, tantôt des Pays-Bas, tantôt de Bruxelles pour enseigner ou diriger un mémoire. Sans compter les multiples corrections épistolaires quand le CETL a inauguré ses cours à distance. Fidèle il nous le restera jusqu’au bout, ce formateur d’une précision incroyablement généreuse.

Professionnellement lui et moi partagions les mêmes points de vue sauf un seul, notre unique « pomme » de discorde : en effet il affirmait qu’un traducteur doit d’abord lire le livre en entier avant de s’y attaquer, je lui tenais tête en prétendant le contraire… et cela nous faisait bien rire (je le taquinais en lui faisant remarquer que cette « pomme » était bien visible dans son cou chaque fois qu’il voulait me convaincre en agitant sa glotte !).

Bernard… nous t’avions pris comme modèle à notre Foire du livre de Bruxelles ce vendredi 2 mars 2006… Notre idée était de te faire travailler sans filet et de laisser voir à tous ce qui se passait dans ta tête quand tu traduisais. « L’idée de l’auto-autopsie m’intéresse plutôt », avais-tu répondu à cette invitation insolite.

Nous t’avions donc soumis un texte anglais inconnu de toi ; dans ton dos, un écran géant laissait voir sans pudeur tout ce que tu tapais sur ton clavier, ou gommais, ou raturais… Depuis lors l’expérience s’est renouvelée, me suis-je laissé dire, mais tu fus le premier à te prêter à cette opération à cœur ouvert, tu fus le pionnier de cette « cuisine ouverte du traducteur ».

Notre cher Bernard : pour le CETL tu étais en train de diriger le mémoire de Catherine Selosse, un choix de poèmes de John Clare sur les oiseaux, et l’étudiante était aux anges de pouvoir travailler régulièrement sous ta houlette…. La soutenance aurait eu lieu à Paris, l’an prochain. Quelle déception, parmi tant d’autres certes….

Quant à ta disparition tragique on ne peut s’imaginer qu’avec effroi ce que tu as dû ressentir dans ces quelques secondes de violence inouïe : plus une âme est subtile, plus les chambres d’écho d’un cerveau sont multiples et plus les résonances sont fortes, dans la beauté ou dans l’horreur… Nous tentons tous de comprendre ton dernier parcours : sans doute voulais-tu, avant même de te poser dans ce lieu de tes jeunes années, revoir l’endroit magique et grandiose que te rappelaient probablement tant de passages traduits par toi. Sans doute as-tu voulu, cette fois encore, te risquer, franchir la ligne du possible, sans doute t’es-tu avancé trop loin, enivré par les embruns du grand large, sans doute ton pied a-t-il glissé… Nous repassons tous le film de la suite dans notre tête, mais nous ne saurons jamais…

Comme tu vas nous manquer à la grand-messe des traducteurs en novembre prochain, comme tu vas manquer tout court à tant de personnes…

En pensant à ta confrontation finale avec les éléments déchaînés, on songe immédiatement à ce tableau de Caspar Friedrich : Homme de dos contemplant une mer de nuages… car cette silhouette, regardant la mer et… la mort ? te ressemble étrangement…

So long dear Bernard, so long…

Françoise, au nom de tous tes étudiants du CETL

Prof. Dr. Françoise Wuilmart
Directrice du CETL et du CTLS
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