Guerres et après-guerres

[boxed_content type= »coloured » custom_bg_colour= »#A9F5F2″ custom_text_colour= »#19070B » pb_margin_bottom= »no » width= »2/3″ el_position= »first last »]

Les éditions Albin Michel publient le deuxième tome (1920-1927) de la correspondance entre Romain Rolland et Stefan Zweig. Après les années de guerre, qui ont soudé l’amitié de ces deux personnalités de tempéraments si différents mais si proches dans leurs convictions, voici la période difficile de l’immédiat après-guerre. À lire sous leur plume tout ce qui a trait à l’instabilité politique en Allemagne, aux problèmes économiques et sociaux, à la montée des nationalismes, on prend la mesure de leur engagement : sans relâche, ils jouent leur rôle de passeurs de culture. Zweig, surtout, manifeste un dévouement inébranlable pour faire connaître l’œuvre de Rolland en Autriche et en Allemagne. Il traduit les romans de son ami, s’efforce de lui trouver des théâtres susceptibles de monter ses pièces, écrit une biographie qui sera un grand succès de librairie.
Cette correspondance est à la fois l’histoire d’une amitié renforcée par les aléas de la politique et de 9782226316721gl’histoire, et un constant échange de vues sur la majeure partie des questions qui se posent dans les années suivant la fin de la guerre. L’activisme de l’un comme de l’autre laisse toutefois percer des différences : si Zweig semble s’investir au premier chef dans l’art et la culture, Romain Rolland, lui, paraît surtout présent sur la scène politique, où son engagement pacifiste lui vaut des inimitiés solides. On sent déjà en germe, et c’est troublant, ce qui se manifestera d’une manière éclatante quelques années plus tard chez Zweig : le désir désespéré de se réfugier dans la littérature, la répugnance à s’exposer par une prise de position politique et à manifester publiquement son désaccord. Dans l’immédiat, le champ littéraire est encore trop fécond pour que cette fissure apparaisse, mais à la fin des années trente, la position de repli deviendra de plus en plus difficile à tenir.
Zweig écrit en français – merveilleux français à la fois fleuri et heurté – mais parfois aussi, quand il est fatigué ou qu’il a besoin d’exposer sa pensée avec plus de subtilité, en allemand ; ce n’est pas un problème, Romain Rolland le lit couramment. La traduction de ces lettres allemandes – très précise et respectueuse du phrasé de Zweig – nous permet ainsi d’aller d’un français à l’autre, parcours de lecture un peu étrange et générateur d’un exotisme inattendu.

Romain Rolland, Stefan Zweig
Correspondance 1920-1927
Traduit de l’allemand par Siegrun Barat
Albin Michel, 2015

[/boxed_content] [blank_spacer height= »30px » width= »2/3″ el_position= »first last »] [boxed_content type= »coloured » custom_bg_colour= »#FFFFFF » custom_text_colour= »#DF0101″ pb_margin_bottom= »no » width= »2/3″ el_position= »first last »]

Jardins en temps de guerre : tel est le titre, quelque peu énigmatique, d’un petit ouvrage d’une grande qualité. En 1992, Teodor Cerić, alors étudiant en lettres, quitte sa ville de Sarajevo attaquée par l’armée serbe et entame un périple de plusieurs années en Europe. Rentré dans sa patrie en 1998, le jeune homme s’installe dans la région de Sarajevo, publie des critiques littéraires ainsi qu’un recueil de poèmes, traduit en français sous le titre Seul le poétique peut tuer la poésie (Aporija, 2007), et… cultive son jardin.
jardins en temps de guerreMarco Martella, responsable de la revue Jardins, a rassemblé les articles que Cerić avait publiés dans sa revue et constitué un recueil qui livre quelques aperçus des déambulations européennes du poète. Celui-ci y parle avec prédilection des jardins, connus ou moins connus, qu’il a visités ou dans lesquels il a travaillé pour subvenir à ses besoins. Rien d’anecdotique ni de superflu dans ces brefs récits où l’on sent se déployer la magie des lieux. Chacun de ces coins de nature, qu’ils soient situés en ville ou à la campagne, est l’expression d’un dessein, d’un projet humain. Cerić nous emmène ainsi dans le « jardin de Godot », dans celui de Painshill dessiné par « l’honorable Charles Hamilton », ou encore au royaume clandestin des fougères créé par une fervente admiratrice de la littérature slave dans la cour de son immeuble, à Graz.
Ce que Cerić cherche à capter et à restituer, ce n’est pas le pittoresque ni les particularités esthétiques, mais la musique secrète. Et pour cela, il faut parfois accepter de changer son regard, de vivre tel jardin la nuit plutôt que le jour, de s’intéresser à la vie des jardiniers des Tuileries plutôt qu’aux parterres. La modestie de la démarche séduit, émeut, envoûte, et on a le sentiment de lire un ouvrage rare, tout de délicatesse et de justesse. La légèreté de touche, la limpidité du style (par la grâce d’une traduction sobre et précise), l’humanité du regard font de ce recueil un ravissement de chaque instant. Et l’on se met à regarder autrement les coins de verdure que l’on aperçoit dans les rues…

Teodor Cerić
Jardins en temps de guerre
Traduit du serbo-croate par Marco Martella
Actes Sud, 2014

[/boxed_content]