Bis repetita… ne plaisent pas aux correcteurs.
Parfois les traducteurs regimbent.
– Ce qui coince avec ma correctrice actuelle (fort capable et sympathique, et accessible au raisonnement), c’est qu’elle est allergique aux répétitions (même à deux pages d’écart!) et que mon auteur, lui, s’en sert beaucoup… Elle se rend finalement à mes arguments, mais je dois vraiment discuter chaque cas. D’où vient cette allergie chez nous ? de l’enseignement? d’une habitude? d’une idée fausse ? Ça peut pourtant être très bien, une répétition… (Anne-Marie Tatsis-Botton)
– Ah ! Anne-Marie, nous devons avoir la même correctrice. Une véritable pavlovisation. Même lorsque la répétition me semble à moi nécessaire, pour la logique ou pour le rythme ou pour les deux, elle tire, ping ! ping ! (Tir à vue, d’ailleurs, bien plus qu’à l’oreille.) N’est-ce pas toi qui nous avais rappelé le mot de Pascal, dans les Pensées : « Quand dans un discours on trouve des mots répétés, et qu’essayant de les corriger, on les trouve si propres qu’on gâterait le discours, il les faut laisser. » Je le cite parfois à mes relecteurs… (Rose-Marie Vassallo)
– Oui, c’était moi. Ici, je suis en pleine épidémie de peste, et que croyez-vous? les mots « malade » et « maladie » reviennent à tout bout de champ. C’est obsessionnel, et je ne veux pas les remplacer par « patient », « souffrant », « malheureux », ni par « épidémie », « malheur » « indisposition », ou Dieu sait quoi encore. Enfin, avec de la patience et de l’obstination, on y arrive. (Anne-Marie T.-B.)
– Nous avons vécu cela, mon épouse et moi, traduisant ensemble un roman, quand nous avons reçu les premières épreuves. (François Mathieu, qui développe l’épisode) Le style de notre auteure est essentiel, sans fioritures, sans jugements ni prises de position, bien qu’il s’agisse d’un roman autobiographique. Le personnage principal n’est jamais prénommé : c’est « elle ». Dans une phrase où apparaît sa mère, celle-ci peut être aussi dénommée « elle ». Par ailleurs, le discours direct est présenté avec le seul verbe « dire »: « dit-elle », etc. Horreur et colère quand nous nous sommes retrouvés devant un texte bouleversé, où la correctrice s’était évertuée à détruire la dynamique des « elle » en les explicitant à l’aide de pronoms ou de groupes nominaux prétendûment synonymes. Et en remplaçant les « dit-elle » par la panoplie complète des « rétorqua-t-elle », « articula-t-elle », « énonça-t-elle » et tutti quanti. Il nous a fallu tout reprendre! Et argumenter auprès de la responsable éditoriale à qui nous avions, lors du contrat, expliqué l’intérêt stylistique du bouquin. En plus de celui du contenu.
Allez, le plus beau! Un jour, dans la cuisine, le père de la jeune fille pelote la cuisinière. Sans doute mue par un grand désir de ne pas laisser dans notre texte une « semi-répétition », une main avait posé en marge : « Ne serait-ce pas plutôt une gazinière »?
Ce que c’est que le zèle…
Sur quoi Sibylle Muller livre ce témoignage :
– Je me souviens d’un atelier de traduction avec la romancière allemande Birgit Vanderbeke, où les étudiants avaient « bien » traduit en « bon français » un récit à la première personne, rapportant des scènes parlées… et où elle avait piqué une grosse colère pour rire – en français, qu’elle maîtrise pas mal – en tapant sur la table : Chez moi on ne raconte pas, on ne rétorque pas, on ne réplique pas, on ne murmure pas, on ne chuchote pas, on parle, on demande et on répond, quelquefois avec des adverbes, mais c’est comme ça et ça doit être comme ça, et c’est moi qui l’ai décidé ! »