Dossier Romance : du côté des traducteurs

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Laure Manceau a traduit de nombreux polars de l’anglais, notamment pour Actes Sud. Pourtant, quand on lui propose Maestra, de L. S. Hilton, elle ne recule pas. Avant même sa sortie mondiale le 10 mars dernier, le roman est annoncé comme un événement. Thriller érotique qui se déroule dans le monde de l’art, écrit par une femme qui sait de quoi elle parle (la britannique L. S. Hilton est diplômée d’histoire de l’art et a étudié à Oxford, Paris et Florence), Maestra met en scène une jeune femme qui travaille, le jour dans une salle des ventes de Londres, et la nuit dans un bar à hôtesses. Certes, le thriller, c’est le domaine de Laure. Mais l’érotisme…

Comment en es-tu venue à traduire Maestra ?
Glenn Tavennec, le directeur de La Bête Noire (Robert Laffont), m’a contactée. Je l’avais rencontré chez Belfond, et avais alors travaillé pour lui. Il souhaitait qu’on collabore de nouveau. Je n’avais jamais donné dans ce genre auparavant. Maestra, c’est du cul et du meurtre. On n’est pas dans la bluette !
Ça a été un vrai challenge de traduction, notamment pour les scènes érotiques. J’avais déjà traduit de la chick-lit, où les filles étaient plutôt crues, mais l’éditeur me demandait d’édulcorer. Là, l’objectif était d’émoustiller le lecteur sans tomber dans le ridicule. La romance n’est pas non plus mon genre de littérature préféré, notamment en tant que lectrice, et j’ai donc pris cette proposition comme un défi. J’ai malgré tout fait un essai. Du coup, avec mon éditeur, on avait des conversations folles ! Du genre « je te mets de la bite ou de la queue pour que ça colle ? » On piquait des fous rires, mais je lui demandais de ne pas me mettre sur haut-parleur ! Il faut reconnaître que l’auteur se lâche bien, mais le côté cru des scènes ne colle pas en français, où « chatte » est même carrément vulgaire. Le texte comporte aussi des scènes scabreuses, avec partenaires multiples. J’en arrivais à me demander ce qu’il se passait  exactement en essayant de me représenter les choses. Il ne faut pas, à la lecture de la traduction, que l’attention du lecteur se relâche.
La romance, ce n’est vraiment pas le plus facile à traduire !

Quelle est la particularité de ce roman ?
On est aussi dans un thriller, c’est d’ailleurs un thriller érotique et non une romance avec un petit truc en plus. Il fallait donc respecter ça, prendre du champ pour que la langue soit fluide. L’auteur écrit bien et je devais rendre un récit aussi vivant et palpitant que la VO.

Qu’as-tu aimé et moins aimé dans cette expérience ?
Ah, je n’ai pas aimé le manque de temps. J’ai l’impression que, de plus en plus, les délais des traducteurs se raccourcissent. Au lieu de trois mois auparavant, les éditeurs souhaitent maintenant avoir de quatre à quatre mois et demi entre le rendu et la publication pour parer à tous les problèmes pouvant se présenter en route. Et c’est au traducteur d’absorber ces nouvelles contraintes, au détriment du temps dont il dispose. Personnellement, je pense que c’est se tirer une balle dans le pied. En ce qui concerne le texte même, Maestra n’est pas le genre de roman que j’achète, mais  je n’ai pas détesté l’expérience. D’ailleurs, pour moi, un bon traducteur doit pouvoir tout traduire.

Le quart d’heure technique

Les tics du genre
Les mouvements ! Dans les scènes érotiques, c’est compliqué, notamment quand les personnages changent de position. Il ne faut pas perdre le lecteur au fil des mots, ce qui est toujours très difficile. Mais ce qui rendait les choses plus simples est que l’auteur a une vraie qualité littéraire, elle ne sort pas de cours de creative writing. Elle a un style, une plume. Ce qui n’empêche pas certaines répétitions, notamment le jeu de sourcils ! Les personnages haussent, arquent les sourcils bien souvent.

Comment traduit-on une scène d’amour ?
Ce sont des scènes très descriptives, et écrites à la première personne par le personnage féminin. Je ne me voyais pas lui mettre une bite dans la bouche (si je puis dire, bien sûr !) Une femme parlera plus d’une queue pour qualifier le sexe de l’homme. La sonorité des termes choisis joue aussi. Et que le tout reste fluide !

Quels sont les termes les plus problématiques ?
J’ai trouvé que « balls » était dur à traduire. Encore une fois, je pense qu’une femme ne parlerait pas de « couilles » mais plus de testicules ! Le but est de garder le lecteur émoustillé.

Propos recueillis par Luce Michel

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Comment en es-tu venue à traduire de la romance ?
Un peu par hasard, en fait. J’ai pendant longtemps travaillé pour des agences, enfin deux ou trois petites agences pour lesquelles je faisais de la traduction essentiellement technique. Mais j’avais une formation littéraire, j’aimais écrire et la traduction me plaisait. J’ai eu la chance qu’une amie, traductrice, qui savait que je souhaitais traduire de la fiction, me parle d’une maison d’édition qui venait de démarrer et qui cherchait des traducteurs. C’était Bragelonne ; Milady et Castelmore n’avaient pas encore été créés. J’ai donc envoyé mon CV et on m’a renvoyé un test. Je l’ai fait et on m’a proposé un roman de fantasy, puisque c’était la spécialité de Bragelonne. C’est ainsi que j’ai commencé à traduire de la fiction et mon premier roman. Ce n’était pas de la romance, mais un roman dans la veine de Tolkien. À la suite de cela, Bragelonne m’a confié la traduction d’un ouvrage de fantasy, fortement teinté de romance, c’était la vague de la bit-lit, et j’ai traduit deux romans d’une série qui a pas mal marché. Alors que je traduisais le second roman de vampires, très à la mode à ce moment-là, j’ai été contactée par une éditrice de J’ai Lu qui avait lu, si j’ai bien compris, l’une de mes traductions et qui était intéressée par mon style, ma connaissance de cet univers. Elle m’a proposé une série. Ce que je lui ai rendu lui a plu, et j’ai la chance de ne pas avoir de temps mort depuis. Il y avait, et il y a, du travail dans ces domaines de littérature dite populaire, et je traduis maintenant depuis plusieurs années pour J’ai Lu.
L’éditrice en question est passée de la romance à la romance historique, j’ai donc eu deux ouvrages dans ce domaine, car cela m’intéressait de traduire autre chose que de la fantasy, je ne voulais pas être cataloguée dans un style. J’ai beaucoup aimé traduire ces deux romances historiques, c’était un travail différent. Pour l’un des textes, notamment, j’ai dû faire des recherches sur les véhicules hippomobiles en usage à une époque historique précise. La voix, le ton des personnages étaient très différents de la romance dite urbaine ou de la bit-lit. L’argot, notamment, demande à être adapté. Il faut toujours vérifier que les mots que l’on choisit sont bien employés à l’époque de l’intrigue. J’avais jusque là traduit dans une langue contemporaine, et j’ai dû m’adapter à quelque chose de moins moderne.

Qu’aimes-tu dans ce style ? En quoi est-il particulier par rapport à d’autres types de romans que tu as pu traduire ?
C’est difficile de répondre à cette question, car je n’aime pas spécialement la romance. Je n’en lis pas. Je trouve les romans toujours construits sur le même modèle, le style, les sujets trop répétitifs. Il y a toujours un héros et/ou une héroïne d’une beauté sublime, doués de pouvoirs (si on est dans la fantasy) et d’une sensualité torride ; il y a toujours deux ou trois scènes érotiques, des scènes d’action, un peu ou beaucoup d’humour, des personnages secondaires souvent plus intéressants que le personnage principal.
Personnellement, j’essaie d’améliorer le style dans ma traduction, je veille à éviter les répétitions, j’ai beaucoup de respect pour mon lectorat et j’aime savoir que les romans que je traduis procurent un peu d’évasion.

Le quart d’heure technique :

Quels sont les tics propres à la romance ?
Ah ces fameux tics !!! Eh bien, j’ai un petit cahier dans lequel je consigne certaines des traductions de tous ces tics, mouvements, hochements de tête, petits reniflements méprisants etc, je m’y réfère et puis j’utilise beaucoup un dictionnaire de synonymes. Les jeux de regard sont un vrai casse-tête, car il est parfois difficile de varier. Et puis il faut choisir le niveau de langue, si par exemple on peut utiliser « mater » (ce que personnellement je ne fais pas) pour « to eye », ou « lorgner », qui date un peu, bref c’est très complexe. Si ces jeux sont trop nombreux, j’en élimine quelques-uns, mais en règle générale, j’évite d’en arriver là.

Comment réussit-on à traduire une scène d’amour ?
Les scènes d’amour sont parmi les plus difficiles à traduire, je trouve, elles sont finalement assez techniques parfois. Mais la difficulté réside surtout dans le fait que l’anglais est plus cru que le français (et que cela passe d’ailleurs très bien en anglais). En français, on n’emploie pas « cul » à tout bout de champ, ni « bite », ce que l’on trouve beaucoup chez les auteurs que j’ai traduits. Il faut savoir transmettre ce que souhaite dire l’auteur, mais ne pas tomber dans la vulgarité, savoir manier la crudité sans être vulgaire, donc, savoir aussi rythmer ses scènes, le lecteur ou la lectrice veut être excitée, disons les choses comme elles sont, et je trouve que cela nécessite un certain savoir-faire, pour ne pas dire talent ! Ce sont des passages sur lesquels je travaille longuement. Les défis de la traduction des scènes de « cul » sont, à mon sens, d’éviter l’écueil de la vulgarité, d’éviter aussi d’édulcorer. J’essaie de traduire de manière élégante, cela ne veut pas dire précieuse ou trop littéraire, je veille à cet écueil, puisque je traduis des romans dits de littérature populaire, mais je recherche la fluidité, l’élégance. On peut restituer le feu, la sensualité d’une scène en utilisant des images qui enflammeront…
Mais ne nous leurrons pas, il est dur de varier le vocabulaire !

Quels sont les termes les plus problématiques ?
J’ai cherché de nombreux synonymes autour de « feu », ce qui aide beaucoup dans les scènes torrides ! « L’ardeur » est aussi un mot que j’ai redécouvert, tout comme « vigueur » ou « vigoureux ».
L’anglais est une langue concise et lapidaire, et des termes comme « to palm », « to slide into » sont parfois compliqués à rendre en français. Ce sont aussi de petits mots comme « as », « even though », ou des verbes simples comme « to see » qui posent problème. Le « as » il m’arrive de le traduire par « pareil à ». Quant au « even though », je contourne la difficulté en coupant la phrase. Pour « to see », selon le contexte, j’utilise le verbe « constater ».
Il y a aussi l’interjection « fuck ». Il faut parfois l’éliminer, ou alors s’en tirer avec un « putain », voire un « bordel », mais j’essaie de les utiliser le moins possible dans mes traductions, car généralement le relecteur  les refuse. Il y en a souvent beaucoup trop en américain.
Exemples :
– « Why the fuck are you going this way », je traduirais par : « Pourquoi tu prends par là,  nom de nom ? » ou alors « Bon sang, pourquoi tu tournes là ? »
– « Are you fucking kidding me », je traduirais par « Non, mais tu plaisantes ou quoi ? » Voire par : « Non mais, tu te fiches de moi, ma parole. »
Et puis, chaque texte présente ses difficultés propres !

Propos recueillis par Luce Michel

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