Moscou, 1986 : une jeune Finlandaise s’installe dans le Transsibérien. Elle se rend à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, où elle espère découvrir enfin les gravures rupestres dont on lui a tant parlé. Peu avant le départ du train, un homme fait irruption dans son compartiment. C’est un Russe d’une quarantaine d’années, grand et vigoureux. La jeune femme comprend vite qu’elle va devoir voyager en compagnie d’une brute épaisse.
Vadim Nikolaïevitch Ivanov – tel est son nom – tient des propos orduriers, se révèle d’une misogynie et d’un racisme révoltants et ingurgite des quantités phénoménales de vodka. Ce qui ne l’empêche pas de faire ses cinquante pompes tous les matins. Cependant, une étrange complicité va naître entre ces deux personnages que tout sépare. L’homme est incroyablement bavard, et la jeune femme ne tarde pas à s’apercevoir qu’elle a affaire à quelqu’un de plus complexe qu’elle ne le croyait. Enfant maltraité, il a vécu dans la rue et connu la prison. Malgré sa grossièreté, il sait se montrer prévenant, voire protecteur. Il partage généreusement ses provisions avec sa compagne de voyage, et c’est lui qui l’aide finalement à accéder au site des gravures rupestres d’Oulan-Bator, déjouant la bureaucratie de la Mongolie communiste. Et une immense tendresse imprègne leur
dernier tête-à-tête.
De la jeune femme nous ne saurons que peu de choses. Nous n’apprendrons jamais son nom et nous ignorerons à peu près tout de sa vie en Finlande. Mais dans ses rêveries, des souvenirs affleurent parfois. Il y a ce premier voyage à Moscou en compagnie de son père et de son grand frère quand elle était adolescente – voyage qui l’incitera à choisir d’y faire ses études, quelques années plus tard. Puis il y a Mitka, son camarade d’université, avec qui elle a vécu une histoire d’amour. Cette traversée de la Sibérie, ils avaient rêvé de la faire ensemble ; maintenant, elle l’effectue seule, car Mitka a été interné dans un hôpital psychiatrique après son refus de combattre en Afghanistan. Et la jeune femme est ensuite devenue l’amante de la mère de Mitka, Irina.
Ce qui caractérise d’abord le personnage de la jeune femme, c’est sa qualité d’étrangère. Qualité qui lui confère une sorte d’hypersensibilité du regard. Dans l’étouffant compartiment n° 6 les jours et les nuits se succèdent. Derrière les vitres défilent les paysages enneigés et sublimes, les banlieues rongées par la pollution, les sites industriels délabrés. Omsk, Novossibirsk, Irkoutsk : parfois le train fait une longue halte et la jeune femme en profite pour se promener en ville. Et elle observe ce vaste pays à la dérive. Son œil est celui d’un peintre (d’ailleurs, Rosa Liksom est aussi plasticienne) : tout ce qu’elle voit acquiert une matérialité telle que nous le voyons à notre tour.
L’écriture de Rosa Liksom est à la fois sensuelle et précise. Anne Colin du Terrail a su relever le défi que représente la traduction de cette prose si singulière, restituant remarquablement sa musicalité, son caractère éminemment visuel et son mélange de brutalité et de tendresse.
Rosa Liksom
Compartiment n° 6
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail
Éditions Gallimard, 2013