« […] un jour de juillet 1945, quelques mois après mon retour du camp. Un été paradisiaque, dans une petite ville moldave. Miraculeuse banalité de la normalité, exaltation d’être, finalement, en sécurité. Après-midi parfait : soleil et calme. Dans la demi-obscurité de la chambre, j’écoutais une voix qui était et n’était pas la mienne : le livre de contes populaires roumains, à la couverture verte et rigide, dont on m’avait fait cadeau quelques jours auparavant pour mes 9 ans me parlait.
C’est alors que se produisit, je crois, pour moi, le miracle des mots, la magie de la littérature. Baume et blessure à la fois. »
Ces lignes sont extraites du recueil La cinquième impossibilité, qui regroupe une douzaine de textes de l’écrivain roumain Norman Manea. Tout juste rescapé du camp de déportation, balloté entre les langues, le petit garçon découvre la grâce de la littérature par l’intermédiaire d’un livre de contes en langue roumaine. C’est aussi un retour à la langue maternelle, aux racines, à ce qu’il appellera par la suite la maison que l’escargot porte sur son dos. Car des départs et des exils, il y en aura d’autres dans cette vie marquée dès ses débuts par le nazisme, puis par le communisme. Toute l’existence de Norman Manea, telle qu’elle apparaît dans cette succession de textes, est une tentative pour s’enraciner, grâce à la langue et à la littérature, dans une patrie indifférente aux aléas de l’histoire et de la politique.
Son récit est à tous égards une traversée des frontières, dans la douleur souvent, mais aussi dans le bonheur de l’ouverture aux autres grâce à l’aventure littéraire. Réflexions sur la littérature, sur la réception de son œuvre – elle n’est publiée et lue qu’en traduction –, difficultés du passage d’une langue à une autre, analyses littéraires… C’est tout un parcours d’homme et d’écrivain qui se dessine sous nos yeux et qui raconte la douleur d’être « déplacé », hors de son milieu natal, incapable de parler sans intermédiaires.
Cioran, Kafka, Sabato, Celan, Ionesco, Bellow et bien d’autres traversent ces pages qui vibrent de l’amour de la littérature, car pour Manea, c’est cela qui donne sens à la vie, qui répare à défaut de guérir.
On soulignera l’énorme travail qu’a dû représenter la traduction de ces textes touffus, bourrés de références, complexes dans leur propos et leur démarche intellectuelle. Et le défi qu’il y avait à traduire un écrivain manifestant à l’égard de la traduction toute la défiance de celui qui doit s’en remettre à d’autres pour se faire entendre. Toujours est-il que l’on sent à merveille dans cet ouvrage l’exigence intellectuelle, l’émotion créée par la banalité parfois très dense du quotidien et la simplicité des rencontres qui, aussi mémorables soient-elles, privilégient avant tout la dimension humaine.
Norman Manea
La cinquième impossibilité
Traduit du roumain par Marily Le Nir et Odile Serre
Seuil, 2013
Malika s’ennuie en classe. Elle n’a qu’un rêve : aller à Hollywood. Et lorsqu’elle est à l’école, elle laisse la télévision allumée pour que sa petite chienne, la très intelligente Marilyn Monroe, puisse regarder l’émission « Qui veut aller à Hollywood ? ». Or voilà qu’un jour, en rentrant chez elle, Malika aperçoit devant son immeuble une limousine affrétée par le producteur de l’émission : Marilyn a gagné ! Elle part pour Hollywood. Persuadée que la chienne ne l’oubliera pas, Malika attend de ses nouvelles.
Un petit texte charmant, à la fois drôle et mélancolique, que Rosie Pinhas-Delpuech a traduit avec tendresse et sympathie.
Nurit Zarchi
Qui veut aller à Hollywood ?
Traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
Illustré par Batia Kolton
Éditions Actes Sud Junior, 2011
Corinna Gepner
Mai 2013