Le dimanche 3 novembre avait lieu la table ronde professionnelle co-organisée par ATLAS et l’ATLF aux Assises de la traduction à Arles. Le thème de cette année était : « La traduction, un travail comme un autre ? »
Avec nos invitées Lise Belperron, traductrice et musicienne, Élise Guillon, avocate et ancienne éditrice, et Nathalie Zberro, directrice des éditions de l’Olivier, nous avons exploré ce qui constituait réellement le travail des traducteurs et des traductrices : « passer un texte d’une langue à l’autre », certes, mais aussi lire, proposer, démarcher, relire, corriger, faire des essais, attendre… Nous avons réfléchi à ce qu’impliquait la reconnaissance en tant que travail de tout ce que font les traductrices et les traducteurs, notamment en termes de contractualisation et de droits sociaux.
De nombreuses tâches indispensables à notre métier de traductrices et traducteurs sont en effet invisibilisées, y compris à nos propres yeux, et souvent peu ou mal rémunérées, comme les essais de traduction ou les fiches de lecture. Lise Belperron a creusé la question dans son enquête de 2020 sur le travail gratuit dans l’édition, « À titre gracieux ». Elle nous rappelle que manque de reconnaissance de certaines tâches est lié à leur non-rémunération, au mythe du « métier-passion » pour lequel on est déjà bien heureux d’être indemnisé. Et à la prévalence du nombre de femmes exerçant la traduction (74% selon l’enquête socio-économique ATLF de 2018). De fait, les nombreuses tâches annexes à la traduction sont assimilables aux tâches domestiques, comme l’explique Maud Simonet dans Travail gratuit, la nouvelle exploitation, un ouvrage qui a guidé l’élaboration de cette table ronde.
Lise Belperron évoque également le déséquilibre du rapport de force entre les maisons d’édition, des entreprises installées, et les traductrices et traducteurs, individus plutôt isolé.es. Un rapport de force que le plaisir que nous prenons à travailler et la liberté que nous offre notre mode de travail à domicile nous empêche parfois de voir, mais qui fait souvent de nous la partie perdante des négociations, par exemple sur les tarifs, mais en réalité sur toutes les clauses contractuelles (étendue de la cession, nombre d’exemplaires gratuits etc.) ;
Nathalie Zberro reconnaît cette dimension de rapport de force, que, concernant l’Olivier, elle replace dans le cadre plus large d’une maison qui évolue au sein d’un groupe capitaliste : si traducteur.ices et éditeur.ices s’accordent habituellement à dire que leur objectif commun est d’aboutir au meilleur texte possible en travaillant en bonne intelligence, les logiques de groupe obéissent à d’autres impératifs, notamment de rentabilité. Son travail consiste donc à la fois à travailler les textes, en bonne intelligence avec ses traductrices, et à défendre le périmètre de la littérature, qui elle seule crée la « valeur ».
Pour tirer les conséquences de ce constat et élargir le cadre, Élise Guillon a apporté l’éclairage du droit. Elle a rappelé qu’actuellement, seul le droit d’auteur encadre la rémunération des traducteurs et des traductrices. Or ce droit vise essentiellement à protéger une œuvre, dont les auteur.ices sont considéré.es comme propriétaires : notre rémunération est en effet liée à la cession de nos droits sur notre œuvre, et non au travail qui a permis de la réaliser. Ce qui a des conséquences notamment sur les droits sociaux dont nous bénéficions – ou pas, comme par exemple le droit aux chômage ou aux congés payés.
Selon Elise Guillon, « On ne peut pas opposer le fait de dépendre du droit du travail et du code de la propriété intellectuelle. » Les garanties apportées par le droit d’auteur sur la protection de l’œuvre doivent rester valides, ce qui n’empêche pas une reconnaissance du travail en amont, par exemple par la protection du droit du travail, dont l’objectif est de rééquilibrer le rapport de force entre donneurs d’ordre et force de travail.
Lise Belperron a conclu sur le sujet en prenant l’exemple du statut d’intermittent dont elle bénéficie en tant que musicienne, ou celui des journalistes : le travail y est reconnu, rémunéré, et ouvre des droits sociaux, sans préjudice de la reconnaissance du droit d’auteur, tant moral que patrimonial avec les droits de diffusion.
Cette table ronde intense s’est achevée par de nombreuses questions du public, dans un temps inévitablement trop court pour une discussion aussi importante. L’intégralité de la table ronde sera prochainement disponible dans les Actes des Assises que publie ATLAS chaque année. L’ATLF ne manquera pas de revenir sur le sujet au cours de l’année 2025, qui sera placée sous le signe des conditions de travail, avec la renégociation du Code des usages.