Anne Colin du Terrail, portrait d’une traductrice heureuse

Propos recueillis par Luce Michel

Traductrice du finnois, Anne vient de recevoir le Grand Prix SGDL-ministère de la Culture pour l’œuvre de traduction. L’occasion de revenir sur son parcours et son travail.

Alors, ce prix ?

C’est une énorme surprise, je ne m’attendais pas à le recevoir, d’autant que les livres que je traduis ne méritent pas à mes yeux d’être récompensés, dans le sens où ils ne présentent pas de difficultés particulières, sauf quelques-uns, comme ceux de Rosa Liksom. Je suis donc flattée, ravie, heureuse !

 
Comment es-tu devenue traductrice ?

J’ai toujours voulu l’être. Chez moi, on a toujours parlé plusieurs langues. Mon père était français, mais de mère hollandaise. Ma mère, finlandaise. Tous deux parlaient quatre langues, mais parmi celles-ci, ne se trouvait pas le finnois pour mon père. Résultat, dès l’âge de trois, quatre ans, j’étais son interprète lors de nos étés en Finlande. On allait faire des courses, il me lisait la liste des achats en français, je lui traduisais en finnois.

Plus tard, j’ai suivi des études d’architecture, que j’ai financées en travaillant comme interprète pour des entreprises finlandaises. De fil en aiguille, elles m’ont donné des textes à traduire, et à la fin de mes études, je gagnais déjà de quoi vivre comme traductrice technique.

Tu n’as jamais voulu exercer en tant qu’architecte ?

À un moment, la question s’est posée de partir vivre en Finlande. J’y avais effectué des stages dans des bureaux d’architecte, et l’expérience était très différente de ce qui se fait en France. En Finlande, même le grand patron suit un projet de A à Z. Le fonctionnement des agences en France ne me convenait pas. Et surtout, je voulais un boulot sans patron, sans horaires de bureau.

Le fait d’avoir une double culture aide-t-il à être un bon traducteur ?

Avoir une double culture est une richesse, mais c’est aussi se sentir toujours un peu à côté, décalée. Et faire de la traduction, c’est réconcilier ces deux aspects de moi.

Ma mère me parlait finnois en Finlande, pendant l’été. En France, nous parlions français à la maison. J’étais abonnée à des revues enfantines en finnois. Mes bons souvenirs de lecture sont en finnois, mais probablement parce que la Finlande c’était le soleil, l’été, les vacances. Alors que la France représentait l’école, l’ordre, le droit. Ceci dit, cette double culture me permet aussi d’identifier les allusions dans un texte, de les repérer et donc, si je ne les connais pas, d’aller chercher. Par exemple, dans le cas de Paasilina, je passais mes vacances à trente kilomètres de l’endroit où il habitait. Je connais cet univers. Et si je ne traduis pas de littérature anglaise ou américaine, c’est justement parce que je ne pourrais pas repérer tout ce sous-texte. 

Pour toi, qu’est-ce qui est le plus compliqué dans une traduction ?

Ce n’est pas le finnois, mais plutôt la rigidité du français. Le finnois est souple, on y trouve beaucoup de verbes sur les sons, les mouvements, qui n’existent pas en français. Il faut donc tordre le cou au français pour obtenir un rendu plus vivant. Et l’on met longtemps à s’affranchir de ça. Lire San Antonio ou des auteurs contemporains m’y a aidée.

Autre différence, le finnois est aussi plus concret que le français, et la transposition n’est pas facile.

Tu évoques San Antonio. Que lis-tu ? Et utilises-tu des ouvrages dédiés à la traduction ?

Paradoxalement, la traduction m’a fait perdre le goût de la lecture. Je ne lis plus que pour le boulot. Je ne peux pas m’empêcher d’analyser le langage. Du coup, j’ai pratiquement abandonné tout ce qui est fiction, car ce n’était plus du plaisir. Je n’ai pas toujours envie le soir de me replonger dans des textes quand j’y ai passé la journée pour le travail. Je ne lis pas de traduction non plus, ça me dérange. Je n’arrête pas de me demander comment c’était dans le texte original. Quant aux ouvrages qui portent sur la traduction, ils ne m’intéressent pas. Je suis autodidacte en ce domaine, et au fil du temps, j’ai développé mes propres techniques, qui me conviennent. En revanche, les Finlandais organisent des ateliers de traduction théâtrale qui réunissent des traducteurs du monde entier. Le rendu dans une langue permet de trouver dans d’autres des solutions qui nous avaient échappées auparavant. Chacun des traducteurs parle au moins une ou deux langues des autres, et ces échanges m’ont énormément appris, notamment sur le rendu sonore et les dialogues. Ils m’ont sensibilisée à l’oralité du texte.

Quels mots finnois sont vraiment intraduisibles en français ?

Löyly. C’est la vapeur d’eau qui s’échappe des pierres chaudes du sauna quand on jette de l’eau dessus. Il existe même un verbe en finnois pour ça ! Les périphrases sont obligatoires en français. Il y a aussi vasta, qui est le bouquet de branches de bouleau avec lequel on se fouette dans le sauna pour favoriser la circulation du sang.

Il existe bien sûr d’autres difficultés, notamment dans les termes qui décrivent la nature. Là, je vais chercher du côté du Québec, où le climat et la végétation sont les mêmes qu’en Finlande.

Comment analyses-tu l’évolution du métier ?
Quand j’ai commencé, c’était pire, puis la situation s’est améliorée. Mais depuis quelques années, j’ai le sentiment d’assister à un retour en arrière. Dans le domaine technique, il y a eu une chute totale des tarifs. Au début de ma carrière, ces traductions me rapportaient plus que la traduction littéraire, puis la tendance s’est inversée ces dernières années.

Si tu devais changer une chose ?

Rien. Je suis contente comme ça. J’adore ce que je fais !