Une histoire de titre : à propos du roman Une fille, qui danse de Julian Barnes (Mercure de France)
Lorsqu’une traduction est terminée, j’ai tendance à évacuer, à oublier les nombreux problèmes rencontrés lors de ce travail ; pour pouvoir les évoquer, il faudrait tout reprendre – ces difficultés elles-mêmes, les doutes, les solutions retenues pour telle ou telle raison –, et le produit de ces réminiscences pourrait bien être plus volumineux que le bouquin lui-même… Vous me direz, c’est tout de même ça qui intéresse les collègues, et on peut se borner à donner quelques exemples ; certes, et je le ferai peut-être, si j’en trouve le courage…
Mais, après tout, c’est le résultat qui compte ; à chacun donc de se faire une opinion en lisant ce nouveau roman de Barnes (dont j’ai déjà traduit une dizaine d’ouvrages). Il y est question des incertitudes du souvenir, de culpabilité et de remords, et d’un mystère qui ne sera élucidé, comme il se doit, qu’à la fin du livre comme dans un roman policier…
Le titre anglais est The Sense of an Ending, qui signifie au moins deux choses : « le sentiment d’une fin [de vie, celle du narrateur] » et « la raison d’une mort » [suicide d’Adrian]… Pourquoi est-ce devenu Une fille, qui danse ? J’avais proposé plusieurs autres titres, dont « Dénouement » ou « Le Dénouement d’une vie », mais l’éditrice n’aimait pas trop ça. Finalement, c’est l’auteur lui-même qui a décidé de choisir quelque chose de complètement différent, et proposé A Girl, dancing, parce qu’il y a, en effet, une scène où Veronica (le personnage féminin principal) danse, pour une fois, dans la chambre d’étudiant du narrateur.
J’ai donc dû m’incliner. Et il est vrai que, comme dit Barnes lui-même dans une interview, « chaque livre a quinze titres possibles » (et il ajoute : « je ne m’accroche pas particulièrement au titre anglais originel »). Je constate aussi que, dès lors que c’est le choix de l’auteur, tout le monde trouve ça très bien… Mais je continue de renâcler intérieurement, et en vain, bien sûr. Il me semble maintenant que les tout derniers mots du roman, « Un grand trouble », auraient mieux reflété l’esprit de l’œuvre, qui est, après tout, d’une couleur assez sombre. Mais c’est ainsi, il est rarement donné à un traducteur d’imposer un titre (qui ne s’impose pas de lui-même), et on peut le regretter… ou non si on pense qu’il a tort.
Son dernier recueil de nouvelles, Pulsations, vient de paraître en Folio.
(Là, au moins, on avait accepté mon titre !)
Une fille, qui danse, Julian Barnes.
Mercure de France, janvier 2013.