Rémunérer les auteurs sur les salons du livre, une évidence
La rumeur se répand de façon insidieuse : ainsi on voudrait tuer les salons du livre en imposant à leurs organisateurs de rémunérer les auteurs lorsqu’ils participent à une table ronde ou à un entretien pour parler de leur œuvre ! Rémunérer les auteurs lors des salons du livre, quelle idée bizarre…
Mais de quoi s’agit-il au juste ?
Les auteurs sont fréquemment invités dans le cadre de salons ou de festivals du livre, pour assurer la « promotion » de leurs derniers livres parus.
Ces salons se déroulent habituellement le week-end. L’auteur quitte donc son domicile pour passer deux ou trois jours, plus ou moins loin de chez lui, en compagnie d’autres auteurs, à la rencontre de ses lecteurs.
Durant ces salons, l’auteur peut rester de longues heures, voire des journées entières, assis à une table derrière sa pile de livres (trop de salons du livre se résument malheureusement à ça). Il est fréquent qu’il ne signe pas plus de dix ouvrages. Il peut même en signer moins, voire aucun s’il débute, s’il n’est pas connu, surtout dans le cadre d’une manifestation qui invite 200 ou 300 auteurs, jusqu’à 400 pour les plus importantes.
Sachant que les droits d’auteur s’élèvent en moyenne à 1 euro par livre – le prix d’une baguette –, l’auteur va donc gagner plus ou moins dix euros qu’il touchera au mieux un an plus tard, lorsque son éditeur créditera son compte, parfois quelques semaines ou quelques mois après lui avoir envoyé son relevé de droits d’auteur.
S’il est invité à prendre la parole dans le cadre d’une table ronde ou d’un entretien, il ne touchera la plupart du temps pas un centime, car les organisateurs de salon estiment le plus souvent que, là encore, il fait la promotion de son livre. Lui offrir une tribune serait en soi un cadeau.
Cette notion de promotion – laissée à la libre appréciation de chacun – prête à réflexion. En organisant un salon du livre, les municipalités ne font-elles pas leur propre promotion culturelle? Et les auteurs invités ne participent-ils pas à cette édification ?
En vérité les questions essentielles sont les suivantes : quelle valeur a le temps d’un auteur ? Et plus généralement quel est le statut de l’auteur de l’écrit ?
Imaginerait-on des musiciens qui viendraient jouer gratuitement dans une ville pour célébrer la sortie de leur album ?
Non, bien entendu ! Il semble normal de payer un guitariste, un flûtiste, un chanteur ou un contrebassiste lorsqu’il se produit. D’ailleurs, les festivals littéraires rémunèrent les musiciens qui accompagnent les auteurs à l’occasion d’une lecture publique, tandis que l’auteur, lui, ne reçoit rien, en général, au prétexte qu’à l’issue de sa lecture il va pouvoir vendre des livres… pour une poignée d’euros.
Les comédiens qui lisent parfois le texte de l’auteur lors d’un festival sont aussi la plupart du temps rémunérés, ainsi que le modérateur du débat ou de la table ronde. Le seul à être presque toujours privé de rémunération, c’est l’auteur invité.
Pourtant le modèle économique existe et a fait ses preuves. Les salons de littérature jeunesse rémunèrent les auteurs lorsqu’ils participent à un débat ou à une table ronde. Et certains festivals généralistes, certes minoritaires, mais non des moindres inscrivent désormais ce point essentiel dans leur cahier des charges et leur budget. Sans pour autant se sentir obligés de n’inviter que des auteurs de best-sellers pour « rentabiliser » leur salon.
La décision du Centre national du livre de conditionner, comme la SOFIA et la SCAM, le soutien financier qu’il apporte à 97 manifestations littéraires à la condition de rémunérer les auteurs lors de leur prise de parole, va dans le sens d’une reconnaissance de la réalité du travail de l’auteur : un travail qui, au-delà du temps de pure création, s’étend au partage de l’œuvre avec le public. Cette décision s’inscrit par ailleurs dans une entreprise plus vaste de définition du statut de l’auteur de l’écrit dans la France du XXIe siècle.
À l’heure où l’auteur, fragilisé par une certaine surproduction éditoriale (baisse des tirages moyens et des à-valoir), voit ses revenus diminuer de manière alarmante, il est important que celui-ci puisse compter sur des ressources complémentaires intrinsèquement liées à l’exercice de son art.
Marie SELLIER, auteure
Présidente de la Société des gens de lettres (SGDL)
Carol TREBOR, auteure
Présidente de la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse
Laurence KIEFE, traductrice
Présidente de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)
Mathieu GABELLA, scénariste de BD
Vice-président du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC)
Pascal ORY, auteur
Président de la commission du répertoire de l’écrit de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM)
12 octobre 2015