Pain d'épices et noviciat (ou le traducteur à confesse)

Il était une fois, voilà bien longtemps, une petite traductrice de l’anglais qui démarrait en caracolant. Un jour, en plein galop américain, elle tombe sur ce détail insolite : un personnage assure que la pension où il loge est aisée à repérer, avec son gingerbread porch.
iAïe, que voir là?
Porch n’est pas le problème ; porch égale porche, n’est-ce pas, dixit en première réponse le dico ; lequel suggère d’autres sens aussi, mais celui-là convient si bien, non?
Gingerbread est plus retors. Pain d’épices, mais encore ? Hansel et Gretel ? Non, plutôt une indication de couleur. Bizarre, pourtant : on ne peut pas dire que la teinte marronnasse de ce parallélépipède rectangle soit bien caractéristique. Bon, mais le détail est isolé, le contexte muet, la traductrice piaffante. Porche couleur pain d’épices ce sera.
À quelque temps de là, conviée par un auteur, la même casse sa tirelire et s’offre, sac au dos, l’Amérique d’est en ouest. Délices et vertiges… et gouffre de honte.  Porch, mes aïeux ! Porche certes, parfois, mais aussi portique, colonnades, galerie de bois, véranda coloniale… Bien pis : gingerbread ! Une teinte ? Dérision ! Toutes ces petites fioritures, chantournures, tarabiscoteries, façon tortillons de crème sur gâteau rien-n’est-trop-beau, le voilà, le pain d’épices architectural.
Et quinze mille porches pain d’épices dans la nature, sans parler des réimpressions ! Ouvrage aujourd’hui épuisé, ouf.
On pourrait plaider les temps reculés, la technologie primitive (petite Remington mécanique pour la frappe, c’est dire, et bien sûr ni Toile ni Google). Mais la vérité est ce mélange néfaste : impatience et inculture. La coupable, que j’ai bien connue, et reniée, puis réacceptée – la prescription trentenaire ayant joué –, a été bien obligée d’admettre qu’à l’époque, même si elle n’avait pour outil bilingue que son brave dico de lycéenne, elle disposait d’un Chambers’s (Twentieth Century Dictionary, tout vieillit !) qui le lui aurait dit, lui, l’eût-elle consulté, que gingerbread désignait aussi des ornementations mignardes et souvent jugées indigestes. Bref, sa faute était d’avoir ignoré que le doute et la recherche sont les deux mamelles de la traduction.
À propos, aujourd’hui, qu’en ferais-je, de ce gingerbread porch ? Sans doute un porche tout de même, faute d’indices autorisant la précision (c’est aux Etats-Unis, mézoù ?). Et sans doute « avec des tas de fioritures », rien de plus, n’en déplaise aux dictionnaires qui en rajoutent sur le dédain.
Un albatros autour de mon cou ? Un peu, oui, tout de même ; et pardon à mes jeunes lecteurs (devenus grands). Je me console en me disant : allons, c’est moins grave que d’affirmer comestible un champignon vénéneux.

Rose-Marie Vassallo