Entretien avec Elisabeth Duval : « Traduire Oliver Jeffers est un bonheur »

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l-enfant-des-livres L’enfant des livres, Kaleidoscope, octobre 2016, dernier titre paru d’Oliver Jeffers, (textes de Winston Sam) traduit par Elisabeth Duval.
“Il s’agit d’emmener le jeune lecteur à la découverte des livres. C’est un véritable hommage à la littérature, avec des renvois aux textes fondateurs,” explique Elisabeth Duval.

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Comment avez-vous découvert Oliver Jeffers ?
Je traduis pour Kaleidoscope / L’École des Loisirs depuis des années et ce sont eux qui publient Jeffers en France. J’ai donc traduit tous ses livres, et j’éprouve un immense bonheur à le faire. Il est jubilatoire. J’attends toujours avec impatience le suivant.

Comment décririez-vous son univers ?
Je le trouve joyeux, émouvant. Il manie l’absurde. Cet auteur a gardé un pied dans l’enfance. Il reste plein de vitalité et n’est jamais démagogue, pontifiant. C’est aussi le cas lorsqu’il s’associe à un autre, comme pour The day the crayons quit, dont les textes sont de Drew Daywalt. Le mariage entre eux est parfait. En tant que traductrice, on a envie d’être à la hauteur de tels écrits.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en travaillant sur ces albums ?
C’est très ludique de traduire quand l’auteur a du talent. C’est comme un jeu, et cela vient tout seul. On réfléchit au texte, et on se demande par quel biais l’aborder. Au fil du temps, c’est un peu comme si un ami vous envoyait une carte postale. On est dans une atmosphère familière et facile, mais l’exigence est toujours là. On n’a jamais fini de découvrir un auteur et notre travail est toujours perfectible. À certains moments, on se dit : “c’est ça, je le tiens !” mais c’est un sentiment très bref. Le défi, avec Jeffers, est de conserver cette légèreté aérienne d’un texte très riche en émotions. Pour autant, ce ne sont pas des albums qui posent des problèmes de compréhension. Ils sont limpides, très clairs.
De manière générale, les livres les plus délicats à traduire sont ceux qui sont mal construits, ou mal écrits. Pour les autres, on est porté. Il est vraiment plus facile de traduire un bon texte. L’anglais masque très bien certaines lacunes de structures, une pauvreté de langue. Le français, non. On ne peut pas tricher.

Y a-t-il un moment où l’on est content de son travail ?
À chaque livre, je m’interroge et serais bien incapable de le dire en cours de traduction. Quand j’ai fini, je ne suis pas trop mécontente. Mais j’adorerais voir le travail de quelqu’un d’autre sur le même texte. Et puis, on ne peut pas traduire absolument un texte. On prend ici, on donne là. Pour préserver l’esprit de l’oeuvre, il faut s’adapter à la rugosité de notre langue.

Existe-t-il des contraintes particulières quand on travaille sur un album ?
Oui. Le dessin, bien sûr, et la place réservée au texte. Et bien sûr, ne pas trahir la pensée de l’auteur, tout en conservant, dans le cas de Jeffers, son humour, sa liberté incroyable et sa folie.
Plus largement, en littérature jeunesse, je reste très attentive à la langue et à introduire des mots inhabituels, si la musique du mot permet aux petits lecteurs de le comprendre. Et s’ils n’en comprennent pas le sens, tant mieux ! Ça éveille leur imagination.
Avec Perdu ? Retrouvé ! j’ai pris une liberté par rapport au texte et cela m’a gênée vis-à-vis de l’auteur. C’est l’histoire d’un enfant et d’un manchot, mais j’ai choisi de traduire par pingouin. Du coup, j’ai dû inverser les hémisphères car l’une des espèces vit au nord, l’autre au sud. Cela n’a l’air de rien, mais cela a des conséquences par la suite, car un nouvel album a mis en scène l’enfant et le pingouin. Ce dernier apprend à voler. Or, les pingouins en sont tout à fait capables, alors que les manchots pas. J’aurais dû être plus attentive… Et ne pas aller au-delà du texte, même si Oliver Jeffers et son agent l’ont tout à fait compris. C’est un peu comme lorsqu’on s’approprie les prénoms, ce sont des choix difficiles.

Y a-t-il des auteurs, des traducteurs qui vous inspirent ?
Il y a un livre que je relis régulièrement : Mémoires d’un traducteur, les entretiens de Maurice-Edgar Coindreau, chez Gallimard. À cette époque, les traducteurs avaient une culture invraisemblable. En existe-t-il encore qui soient ainsi ? Le monde vers lequel nous nous dirigeons fait peur. Il nous reste les mots comme arme.

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Comme d’autres avant lui, Oliver Jeffers s’est attaqué à un abécédaire, Once Upon an Alphabet : Short Stories for All the Letters / Il était une fois l’alphabet en vingt-six escales rocambolesques. Le résultat est bien évidemment drôle, émouvant et tendre. Elisabeth Duval a eu la lourde tâche de rendre tout cela en français. Exemples à l’appui d’une belle réussite.

jeffersVO : C – Cup in the cupboard – (dessin d’un mug qui déclare: there’s tea in me).
VF : C – Café sur le comptoir – (dessin d’un mug qui déclare : avec un nuage de lait.)
L’explication de la traductrice : Évidemment, le problème est de ne pas trahir l’auteur. Avant, face à une difficulté, j’aurais dit “je pars faire un tour en vélo”, mais je n’en ai plus ! En fait, ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas, et je tourne autour jusqu’à trouver. Pour moi, c’était moins le côté anglais du thé qui primait que l’idée de comptoir. Or, on prend un café au comptoir, pas un thé. Mais comme le thé est plus doux, a un côté plus féminin, le café est adouci par le nuage de lait. On pourrait trouver d’autres idées et j’en serais ravie ! C’est un travail dans l’effacement et le traducteur ne doit pas marquer, au contraire, il faut qu’il disparaisse complètement.

half-aVO : H – Half a house
VF : Habitation à haut risque.
L’explication de la traductrice : J’ai cherché autour de cette idée de moitié de maison, l’autre étant tombée dans la mer un an plus tôt. C’était difficile, mais les jeux de mots m’amusent depuis toujours. C’est devenue une déformation de la pensée !

VO : K – The King – The King of France went out for a dance and forgot to bring along keys.
VF : K – Kim Ier, Roi de France – Kim Ier Roi de France se lance dans une danse et oublie d’emporter son trousseau de clés.
L’explication de la traductrice : Là, c’est une faiblesse de ma part. J’ai buté sur ce K – King et ai contourné la difficulté en utilisant un prénom. Je ne sais vraiment pas ce que j’aurais pu faire d’autre, mais cette solution n’a pas été facile à adopter et ne m’a jamais complètement convaincue.

Propos recueillis par Luce Michel

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