Comment ai-je pu ? (suite)

Dans la série de mes comment ai-je pu, il m’en coûte de le dire, mais j’ai planté des cèdres dans le Sud-Est des États-Unis. Par forêts entières. Pour des Indiens Cherokees. Pas une seconde, à l’époque – les temps prégoogliens –, l’idée ne m’est venue que ces cèdres pouvaient être… rouges. Mon auteur parlait de cedars tout court ; qui dit cedar dit cèdre, non ?
Trente ans plus tard, leur vue dans mon texte m’a retourné les sangs. Le genre cèdre est absent du Nouveau Monde, du moins à l’état spontané, je l’ai découvert dans l’intervalle. À l’évidence, il s’agissait là du genévrier de Virginie, « cèdre rouge » de l’Est américain. À l’évidence, oui ; à condition de se méfier des évidences, justement. À condition de penser.

Dans le même texte, autre coup de sang : toujours du côté de la Géorgie, des élans ! Or il n’y a pas plus d’élans que de cèdres par là-bas. La piste animale baptisée elk trail en v.o. ne devait rien à ces grosses bêtes aux bois en éventail que le mot « élan » fait surgir dans notre imagerie. Elle était l’œuvre d’un autre cervidé, simple cerf – lui aussi de Virginie –, elk en langue locale. Détail qu’au temps de ma traduction j’ignorais, et surtout ignorais que j’ignorais.
Par bonheur, en l’occurrence, j’ai pu faire réparation : justement, je relisais ce roman pour le retoucher en vue d’une nouvelle édition, précieuse occasion de rédemption. Désormais, dans les Appalaches, plus un cèdre, plus un élan. Mais je préfère ne pas songer aux exemplaires écornés qui traînent sur les étagères. Peuplés de conifères et cervidés incongrus.

Le lecteur averti aura rectifié de lui-même, mais pardon à mes autres lecteurs pour n’avoir, une fois de plus, pas pensé.
Rose-Marie V.

(Et vous autres, confrères ? Des petits faux pas à nous confier ? Même si, bien sûr, on en commet moins, voire plus du tout.)